Communiquer avec les ados, l’art de rester connecté ?
L’adolescence est cette étape incroyable et passionnante que nous avons traversé … tout en oubliant aujourd’hui à quel point elle nous a été complexe et paradoxale à vivre.
Nous pouvons regarder nos ados en les trouvant parfois « exotiques » ou « extravagants » dans leurs comportements, et pourtant nous sommes passés par là, et l’incompréhension qui s’installe régulièrement entre ados et adultes provient la plupart du temps d’un long, lent et latent décrochage relationnel qui découle d’une utilisation inadaptée de la communication… La communication est le reflet de la relation et permet d’ajuster la relation. La gorge qui s’exprime est liée au coeur de la relation. Si l’expression est connectée au coeur dans tous les instants, la communication en sera nettement plus légère et harmonieuse.
Petits rappels des bouleversements de l’adolescence :
• Le corps se sexualise par la déferlante hormonale de la puberté, les formes féminines et masculines apparaissent (pilosité, seins, développement de la musculature, capacité à procréer, etc). Pour certains adolescents cette irruption d‘un corps sexué n’est pas aisé à assumer car cela ajoute toute la dimension du plaire ou déplaire dans leurs relations sociales.
• D’une phase de l’enfance de 8 à 12 ans environ qui est assez calme sur le plan du désir sexuel et de la séduction, le développement psycho-affectif et sexuel de l’ado provoque une ruée vers la séduction et l’envie d’explorer la dimension affective et sexuelle.
• Les ados ont leur cortex préfrontal en plein développement, cela va durer plus de 10 ans encore, ce qui signifie que leur capacité de régulation émotionnelle, de planification, de gestion du temps est fort balbutiante et doit se déployer pendant toute l’adolescence.
• Après l’enfance où les petits bouts acceptent facilement l’autorité des adultes, à l’adolescence, l’autorité est remise en question et parfois vivement.
• Les ados bouillonnent souvent d’énergie et d’envie d’expérimenter dans tous les sens.
Avec tout ceci, il nous a semblé plus ludique et plus éclairant de présenter les « travers » les plus récurrents dans la communication avec les ados et qui entrainent dès lors une dégradation de nos relations avec eux. Parfois, c’est en voyant avec lucidité ce qui ne fonctionne pas qu’on implémente plus vite des changements…
Donc, pour vraiment réussir la communication avec un/des ados, commençons par :
Réduire ou supprimer les injonctions
Si les adolescents appréciaient naturellement l’autorité, cela serait connu de tous ! Les adolescents sont la plupart du temps hypersensibles aux injustices, petites, familiales, sociétales ou sportives, et toute autorité qui n’est pas exercée en finesse les énerve, les agace. Ils détestent autant l’injustice que l’injustesse. L’injustesse, c’est dans la formulation qu’on la trouvera. Donc parfois l’ajustement à faire dans notre communication n’est pas à faire sur le fond mais sur la forme.
Soyons souples, expliquons nos décisions, précisons-en le contexte, démontrons notre raisonnement, questionnons-les sur leurs projets, entrons en dialogue vraiment.
Elaguer les comportements paternalistes ou maternants
Les adolescents sentent qu’ils ne sont plus des enfants. Lorsque nous, comme parents, nous gardons cette nostalgie de la beauté de leur enfance, cela se traduit dans la communication. Ils se sentent « infantilisés »… L’adolescence, c’est aussi cette période où ce qui était parfois fluide le devient moins comme des câlins en public, des surnoms enfantins, une façon de leur parler qui les ramène à des enfants inaptes à comprendre et à décider. Quand ils étaient enfants, nous décidions parfois pour eux ; ados, ils désirent prendre de plus en plus leur autonomie en main et leurs propres décisions.
Les adolescents n’apprécient pas trop qu’on les prenne de haut, qu’on leur fasse la leçon, que l’on soit paternaliste. Leur orgueil est parfois en phase exponentielle ou bien sensible. A chaque fois que nous les prendrons de front, le risque du clash ou du blocage de la communication sera multiplié par le taux de confrontation…
Aidons-les à cultiver progressivement de plus en plus de parcelles d’autonomie, respectons leurs émotions, cultivons notre diplomatie pour leur parler lorsqu’ils seront réceptifs, ouverts, avec des mots doux et sincères.
Respecter leur vécu émotionnel et affectif
Les ados vivent et perçoivent les émotions de façon très forte. Les neurosciences nous ont appris que leurs capacités cognitives de régulation émotionnelle n’est pas encore vraiment opérationnelle et développée. Une émotion « normale » pour un adulte (une vague de 15 cm) est vécue par un adolescent comme une vague de 2m50. Déjà, sommes-nous capables de ne pas juger leurs émotions ?
Affectivement, les adolescents ont leur coeur à fleur de peau. Les ruptures affectives, les comparaisons, les disputes génèrent beaucoup d’émotions et du coup, ils sont souvent baignés dans un flux et reflux émotionnel parfois intense. Discuter, envelopper, débriefer et parfois les accompagner chez un professionnel de la relation si c’est trop intense pour eux , peut avoir du sens.
Une des « plaies » de l’adolescence est le mécanisme de la comparaison. Ils se comparent, ils se trouvent moins ou plus que les autres, mais pas vraiment eux-mêmes. La comparaison s’installe vraiment à l’adolescence et va engendrer beaucoup de fragilité dans l’estime de Soi. Alors qu'il a besoin d’accueillir sa différence, d’honorer sa singularité, l’adolescence va le pousser à se référer à des modèles, à des « idoles », des influenceurs des réseaux sociaux, etc. Parfois cela éloigne de soi, parfois cela inspire pour révéler des facettes de soi. A discerner donc …
Les parents ont sans nul doute un rôle à jouer pour stratégiquement déminer et démonter les mécanismes de comparaison.
Tester les courtes séquences de communication
Les adolescents sont souvent vifs dans leur expression. Leur communication est « séquentielle », c’est-à-dire organisée en de courtes séquences. Les réseaux sociaux dont ils sont friands amplifient cette organisation séquentielle. Symboliquement, on pourrait penser qu’ils « pensent » et « agissent » en tweet de 140 caractères ou en images d'Instagram...
Nous pouvons les aider dans notre communication à mettre des nuances, à les aider à mettre des mots, à formuler avec subtilité. Certains adolescents ont du mal à mettre des mots sur leur vécu et cela les isole à force d’accumulations de petites ou moyennes incompréhensions.
Rentrons aussi dans leur registre, apprenons à nous calibrer à leur ton relationnel : léger, avec humour, parfois un peu provoquant ou même second degré.
Les ados peuvent aussi se perdre avec les adultes dans de longues séquences, ce qui fait qu’ils nous perdent car ils n’arrivent plus à capter notre attention. Donc pour les récupérer, relançons de multiples « questionsréponses », restructurons des séquences courtes et cohérentes qui leur permettent d’apprendre à construire un raisonnement.
Rester connecté à leur réalité
Nombre d’adolescents nous montrent qu’ils sont forts. En réalité, ils ont de grandes forces parsemées aussi de fissures et leur estime d’eux reste encore fragile et friable. Ils vont apprendre à la consolider tout au long de leur adolescence.
Du coup, un réflexe pourrait être de les laisser se gérer, se déconnecter de leur vécu, les laisser dans leur autonomie sans continuer à s’intéresser adéquatement à eux. Si nous voulons les perdre, laissons-les dans leur monde. Les ados sont fort sensibles à l’impression d’être délaissés, au manque d’intérêt qu’on leur porte ainsi qu’au sentiment d’abandon. Tout l’art est de maintenir un lien non envahissant, respectueux de leur autonomie, curieux de leurs découvertes.
Soutenir leur connexion forte avec leur idéal
Si des milliers d’adolescents manifestent les jeudis dans la rue, ce n’est pas juste pour prendre l’air et la pluie. Ils se mobilisent pour leur idéal, pour avancer vers leur vision du monde.
Ils ne connaissent pas encore la complexité du monde qui, en plus, est devenu si compliqué qu’il ressemble à une usine à gaz. Les ados n’ont par exemple pas trop conscience de la complexité institutionnelle belge en matière de répartition des compétences « climat » entre les quatre ministres. Ils n’ont que faire des enjeux « particratiques » de la politique de qui aura la meilleure idée ou la première idée. Ils veulent du changement. Du coup, leur révolte provient aussi du fait qu’ils ne comprennent pas la complexité du monde.
Pour faire maturer un adolescent vers l’adulte, il faut que nombre d’adultes partagent avec lui des connaissances, des clés et pas que ses parents. C’est l’heure de l‘ouverture au monde. Avec les adolescents, il est aussi judicieux de les faire cheminer par petits pas et de rester dans leur entourage discrètement, en étant présent, en étant un point de repère discret.
Enfin, les accompagner à débriefer leur vécu… et valoriser leurs erreurs
En tant qu’adulte, qu’est-ce qui nous a le plus construit : nos réussites ou nos erreurs ? Assurément nos erreurs. La sagesse ne provient- elle pas de la connaissance qui a été nourrie de nos expériences ? De nos échecs, nous avons appris beaucoup… mais nous le redoutons toujours et craignons que nos adolescents l’expérimentent aussi. Alors parfois, dans cette anxiété qu’ils ne goûtent à l’échec, nous pouvons commettre le raccourci de leur donner la leçon sans qu’ils ne soient passés par l’expérience. C’est souvent peine perdue car les adolescents ont un besoin impératif d’expérimenter, de tester leurs limites, de vivre leurs expériences.
Vous avez beau leur dire « c’est inutile » tant que cela n’a pas été expérimenté, ils n’ont pas tiré leurs propres leçons de leurs expériences. Du coup, notre aide d’adulte est d’abord de les pousser à expérimenter, en conscience, puis de les aider à sortir, à verbaliser, à conscientiser la « substantielle moelle » de leur vécu brut. C’est par nos questions- réponses subtiles, humbles, curieuses, intéressées, que nous les aidons.
Raphaël Dugailliez