Un autre regard sur les huiles essentielles
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Un autre regard sur les huiles essentielles



Beta-pinene, myrcene, viridiflorol… la biochimie des huiles essentielles est une importante source de connaissance et domine l’aromathérapie. Pouvons- nous cependant, sur la base de ce savoir, appréhender la complexité des végétaux aromatiques et la subtilité de leurs actions sur l’organisme ?





En soumettant une huile essentielle à la chromatographie, nous pouvons connaître sa composition, les molécules présentes et leur pourcentage. Cette tech nique permet notamment de mesurer les variations induites par les conditions de production, de préciser si nécessaire le chémotype* et d’apporter des éléments de compréhension relatifs aux propriétés des huiles essentielles. Les molécules et fa- milles moléculaires peuvent être corrélées avec des actions thérapeutiques. Nous pouvons ainsi prédire le domaine d’appli- cation d’une huile essentielle par sa com- position biochimique selon le principe des relations structure-activité. Même si l’on considère depuis plusieurs décennies que les huiles essentielles ne sont pas que matière [des molécules aromatiques] mais agissent aussi par d’autres aspects, cette approche fait aujourd’hui autorité.

Un constat objectif
Une expérience simple permet de nuan- cer les certitudes de la «lecture» biochi- mique. Nous savons que lors de la dis- tillation, l’huile essentielle a une com- position qui évolue suivant le temps de passage de la vapeur. A l’alambic, nous pouvons en prendre conscience par l’évolution de son arôme, parfois de sa couleur. Pour apporter des mesures à cette observation, il suffit de prélever et d’analyser un échantillon du résultat de l’ensemble de la distillation et un échantillon à la fin de la distillation en poussant jusqu’à l’épuisement du végétal. Les variations peuvent être étonnantes. Nous pouvons parfois détecter des molécules en fin de distillation en proportion conséquente qui ne sont pas identifiées dans l’échantillon de l’ensemble de l’extraction et qui n’ont parfois jamais été décrites pour cette plante ou jamais identifiées dans d’autres végétaux. La précision de l’analyse pour l’échantillon de l’ensemble de la distillation n’est pas suffisante, ces composants sont pourtant présents en très faible quantité. Trop faible pour être habituellement mesurable peut-il être assimilé à une inutilité thérapeutique ? Si à cet exemple, j’ajoute que nous n’avons encore que trop peu de donnée sur les plusieurs dizaines de milliers de composants aromatiques du règne végétal, que nous ne prenons que très peu en compte le caractère chirale de nombreuses molécules [formes spatiales différentes d’une même molécule], dois-je encore ajouter mon point de vue sur l’apport des sciences analytiques dans la compréhension de la synergie des molécules qu’est une huile essentielle ?



Les huiles essentielles autrement
Pour ceux qui ont l’opportunité d’être en contact avec les végétaux aromatiques, de les récolter, de les distiller, de les ressentir, l’approche des relations structure- activité montre les huiles essentielles d’une manière fragmentaire et inerte. Elle ne reflète pas la vitalité des produits que nous côtoyons et semble parfois nous détourner de la véritable nature de la plante étudiée. Ce système peut être utilisé pour expliquer certaines propriétés et contreindications mais son caractère réductionniste et mécanique n’est pas représentatif de la réalité de leurs propriétés. L’ignorer et le dénigrer serait cependant une erreur. Il faut souhaiter la progression des connaissances biochimiques et les intégrer judicieusement à l’étude des végétaux aromatiques. Certains auteurs tentent de redonner une vision plus générale à la présentation d’une plante, de son huile essentielle ou de son eau florale en ajoutant, à la description biochimique et les propriétés qui en découlent, la description du végétal, de ses usages traditionnels, les actions psycho émotionnelles. Nous pouvons nous en réjouir. Néanmoins les liens entre ces données sont souvent difficiles à saisir, elles forment un inventaire qui ne permet pas de percevoir le tout, l’unité du végétal. Des approches qui pêchent par leur manque de rigueur dérivent aussi souvent dans le symbolisme, le métaphorique et occultent plus que ne révèlent.

Un outil vivant pour comprendre le vivant
Lorsque que l’on rencontre pour la première fois une huile essentielle, plutôt que de placer la chromatographie [résultat de l’analyse d’une machine] entre nous et cet extrait, il me semble préférable d’exploiter un outil vivant, notre sens olfactif. L’olfaction prolongée à l’aide d’une mouillette de parfumeur permet de caractériser l’arôme, de ressentir certains effets physiques et bien sûr psychiques en observant le déroulement et la qualité des pensées. Il ne s’agit pas d’une activité intellectuelle mais d’une méthode d’observation qui doit laisser venir les impressions, les sensations, les intuitions. L’observation attentive de l’arôme ne doit pas simplement permettre de déterminer le reflet de l’image de la plante sur nous-même mais doit aussi tenter d’observer la prodpre image du végétal. Nous pouvons ensuite observer comment l’image perçue s’exprime dans les stades végétatifs de la plante, dans sa biochimie, dans ses usages traditionnels, au sein de son terroir, de sa famille et son genre botanique…. Cette approche phénoménologique qui peut être qualifiée de sensible doit être pratiquée de façon rigoureuse, en s’exerçant régulièrement avec des huiles essentielles issues d’une production qui a oeuvré à exprimer pleinement le potentiel de la plante. En formation d’aromathérapie en accord avec ces concepts, une journée devrait être consacrée à l’investigation d’une plante ou deux.

Vers une autre aromathérapie
L’approche des relations structure-activité va souvent de pair avec une vision tout aussi réductionniste des maladies, de la santé. Des pathologies réduites à des symptômes, des symptômes soulagés par des molécules, des molécules présentes spécifiquement dans certaines huiles essentielles… Une allopathie aromatique. En intégrant les concepts d’unité, de force, de vitalité, l’approche sensible s’intègre à une vision globale du corps… une aromathérapie innovante, une naturopathie aromatique.

*Le chémotype correspond à une molécule principale ou distinctive permettant de différencier pour une même espèce l’obtention d’huiles essentielles aux propriétés et contre-indications différentes. Le chémotype n’est pas la composition biochimique d’une huile essentielle. Ce n’est pas non plus un critère de qualité à proprement parler mais un élément de différenciation nécessaire pour certaines plantes.



Simon Lemesle
responsable d’Astérale, société de production et de promotion des huiles essentielles et eaux florales de Madagascar.




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