Le grand débranchement
Qui ne s’est pas déjà senti désemparé à la seule pensée de quitter cette mégamachine
industrielle qui détruit tout ce qu’elle touche, mais qui tire sa force
de ce que nous lui donnons ? Comment ne plus acheter d’objets fabriqués en
Chine ? Comment éviter les supermarchés aux chaines d’approvisionnement
tentaculaires et souvent injustes ? Comment éviter de participer à la combustion
du pétrole ? Par un effort constant, certes, mais quel effort ! Au moindre
relâchement, on redevient dépendant, et la bête gagne en puissance.
Alors, comment reprendre sa vie en main ? Comment couper ces innombrables
fils tendus entre nos membres et cette mécanique géante, ces fils qui nous rattachent aux
catastrophes présentes et à venir ?
Entrer en transition, c’est précisément cela, couper ces fils. Mais parce qu’il est suicidaire de se
débrancher tout seul, nous nous trouvons désormais face à cette curieuse obligation de retrouver
le sens du collectif, et même du commun, pour créer assez de puissance et d’autonomie.
Ainsi naissent des petites pousses qui ont - et auront - la couleur de la rue, d’un quartier, de
villages, puis qui s’étendront comme des rhizomes… à la manière des Initiatives de Transition
ou du récent mouvement Alternatiba.
Le «grand débranchement» n’est pas une fuite, ce n’est pas non plus un suicide. Au contraire,
c’est une pulsion de (sur)vie, c’est une fête permanente, et c’est une fierté.
Le «grand débranchement» oblige à une reconnexion aux autres, aux humains. Lorsqu’un petit
collectif réussit à créer un GASAP, il donne la possibilité à chacun de ses membres de couper un
fil qui le rendait dépendant : quelle fête ! Revenir les pieds sur terre, grâce aux autres.
Le «grand débranchement» oblige aussi à tisser des liens avec les êtres vivants, non humains,
[animaux, plantes, bactéries, etc...] le réseau des êtres qui partagent notre espace de vie, et
dont nous dépendons aussi. Et les liens peuvent aller bien plus loin, en reprenant contact avec
la plus profonde partie de nous-mêmes.
Se débrancher, c’est un effort d’enracinement. C’est tisser du lien… pour se libérer !
Pablo Servigne
Agronome, formateur en permaculture et agroécologie