La mort, l'utime passage ?
Entretien avec Gabriel Ringlet, prêtre, ancien vice-recteur de l'UCL et écrivain
1. Vous venez de publier un livre « Vous me
coucherez nu sur la terre nue ». Quel est le sens
de ce titre ?
Je l’emprunte à François d’Assise qui, peu avant sa
mort, demande à ses frères de le dévêtir : «Lorsque
vous me verrez à toute extrémité, vous me coucherez
nu sur la terre nue, et vous m’y laisserez encore
à mon dernier soupir, le temps nécessaire pour parcourir
un mille à pas lents.»
Cela me touche beaucoup.
Moi aussi j’aimerais qu’au moment de la mort, on
me mette nu sur la terre nue. Ou dans un simple
linceul, comme pour les moines, jusqu’il y a peu.
Mais notre société «hygiéniste» ne le permet plus...
Ce titre est une manière d’évoquer le dévêtement
ultime auquel, toutes et tous, nous sommes
confrontés. Dévêtement, souvent, de ceux et celles
qui restent et sont appelés à poursuivre la route
dans la nudité de l’absence.
2. Peut-on provoquer, humainement, la mort ?
Pour moi, provoquer la mort de quelqu’un est une
transgression fondamentale. Mais il arrive qu’on
soit au pied du mur. Alors j’accepte, en conscience,
qu’au bout des soins palliatifs, après avoir tout
tenté pour faire reculer la souffrance, on se trouve
acculé au «moindre mal». Mais je plaide en même
temps pour le respect de la vie la plus ténue, la plus
diminuée, convaincu qu’une société grandit et se
montre vraiment humaniste lorsqu’elle est capable
d’accueillir le handicap, la vieillesse, la fragilité de
ses citoyens.
3. On sent que vous appelez surtout au dialogue
?
Exactement ! Je ne suis pas du tout un «militant»
de l’euthanasie, loin de là. Je demande que sur ce
terrain si complexe, on s’écarte des positions trop
figées et qu’on tente de s’écouter au maximum.
Devant la souffrance extrême que la médecine ne
parvient pas toujours à soulager, certains optent
pour la sédation palliative (endormir définitivement).
Je réponds simplement que ce choix (arrêter
une vie lentement) est aussi grave que celui de
l’euthanasie (arrêter une vie rapidement). Mais je
ne prétends pas avoir raison ! Je souhaite qu’on en
parle ouvertement et qu’on échange en profondeur.
4. Pour vous, qu’y a-t-il après la mort ?
La vie ! À condition qu’il y ait la vie avant la mort.
C’est le mystique suisse, Maurice Zundel, qui disait:
«si nous ne sommes pas vivants au moment de
notre mort, nous ne le serons jamais.»
Oui, je pense qu’il y a une vie après la mort parce
que notre vie n’est pas fermée, parce que ma création
continue, parce que, même mort, je poursuis
mon chemin... Comment le dire mieux ? Il y a, en
moi, qui que je sois, quelque chose d’unique, d’inviolable,
d’indestructible, comme un diamant, qui
fait que je suis moi et pas quelqu’un d’autre. Ce
diamant-là ne meurt pas avec la mort.
5. Est-ce cela, l’âme ?
D’une certaine manière, oui ! Pour dire ce diamant,
qui traverse la mort, la tradition sémitique dans
laquelle Jésus a grandi utilise le mot « nefesh » en
hébreu, qu’on a traduit par âme en français. Ce mot
âme, il faut l’entendre dans un sens très large. Au
temps de Jésus cela exprime le parfum, l’appétit de
vie qui est en moi. Et cet appétit ne meurt pas avec
la mort !
Paru dans l'Agenda Plus N° 272 de Novembre 2015