Recours sur la loi sur la psychothérapie
Un premier succès en appelle d’autres. La mobilisation des praticiens de la psychothérapie et les usagers donnera du poids à ces initiatives humanistes.
Etat des lieux
Vous avez peut-être lu ou entendu que 150 psychothérapeutes francophones et néer-landophones, représentés par Maître Letel-lier (cabinet d’avocats B49 à Bruxelles), ont introduit, en octobre 2016, un recours en annulation et en suspension auprès de la Cour Constitutionnelle à l’encontre de la loi relative au statut de la psychothérapie portée par la Ministre De Block.
On se souvient que la Ministre De Block avait passé en force une révision de la loi sur la psychothérapie en juillet 2016 au Parle-ment. Avec cette révision, depuis le 1er sep-tembre 2016, date de son entrée en vigueur, une grande partie des psychothérapeutes se retrouvent « hors la loi » et sont supposés ne plus pouvoir exercer. En effet, la nouvelle loi réserve l’exercice autonome de la psycho-thérapie aux seuls détenteurs d’un diplôme, entendez : un titre relevant de la loi relative aux soins de santé. Parmi eux, des podolo-gues, dentistes, psychologues et bandagistes formés à la psychothérapie qui disposeraient du bagage pour exercer de façon autonome, alors que des assistants sociaux, des assis-tants en psychologie, des sociologues, des éducateurs, des praticiens avec un bagage de 30 années, des philosophes eux aussi for-més, seraient contraints de se placer sous la tutelle des premiers.
Non seulement cette loi mettait de facto de nombreux professionnels sérieux dans l’im-possibilité de poursuivre leur pratique privée, mais elle démontrait aussi la totale mécon-naissance par la Ministre et par le législateur des réalités du terrain qu’ils prétendaient ré-glementer, ce qui a conduit à des aberrations... Contrairement à ce que la Ministre a vou-lu faire croire, la loi ne comprenait aucune mesure transitoire permettant aux praticiens en exercice, parfois depuis plus de 30 ans, de faire valoir leur expérience acquise. Ainsi, du jour au lendemain, de nombreux psychothé-rapeutes compétents et sérieux qui, après des années de formations, de supervisions et de pratique, peuvent se targuer de faire ce métier de longue date avec compétence, se voient contraints de renoncer à leur pratique et de délaisser leurs patients.
Le recours en suspension et annulation auprès de la Cour Constitutionnelle demandé en septembre se base sur un préjudice grave et difficilement réparable qui découle d’une vio-lation des droits fondamentaux et de la dis-crimination dont les psychothérapeutes font l’objet par manque de mesure transitoires pour ceux qui n’ont pas les titres « LEPSS » comme la loi le stipule.
Les recours à la Cour Constitutionnelle
Premier recours : le 22 décembre 2016 : la Cour constitutionnelle leur a donné raison. L’arrêt de la Cour stipule : « les personnes qui, avant l’entrée en vigueur de la loi atta-quée, exerçaient la pratique de la psycho-thérapie, sans satisfaire aux exigences de cette loi, peuvent exercer cette pratique en attendant que la Cour statue sur le recours en annulation. » La Cour statuera sur le re-cours en annulation impérativement avant fin octobre 2017.
Un second recours en annulation visant toute la loi, porté par le collectif Alter-Psy devenu depuis peu Asbl s’appuie sur plusieurs élé-ments comme l’idée que la psychothérapie ne relève pas que du champ « médical » mais également des sciences humaines et que les troubles psychologiques sont aussi des ré-ponses à l’environnement social, économique et pas uniquement des maladies dissociées du contexte, pour contester la logique strictement managérial et « Evidence Based Medecine » portée par la Ministre et le centre d’expertise fédéral en matière de soin de santé (le KCE).
En choisissant le mécanisme de « l’Evidence Based Medecine* », la Ministre oublie la richesse de toutes les autres approches thé-rapeutiques, oublie que le facteur de réus-site d’une thérapie n’est pas uniquement la méthode mais aussi la qualité du lien théra-peutique, pour n’en citer que deux. Ceci est assez évident lorsque l’on pense au burn-out qui n’est d’ailleurs pas repris dans le DSM-V.
Un troisième recours en annulation visant toute la loi, porté par le groupe de travail des fédérations coordonné par la Ligue Bruxelloise Francophone de Santé Mentale, concernera les institutions et les professionnels travaillant en institution, notamment les planning fami-liaux, des services ambulatoires, etc. Le plan d’attaque sera [notamment] la définition de la psychothérapie puisqu’actuellement, la dé-finition est si imprécise, que la loi clive le sec-teur et met un grand nombre d’intervenants salariés en insécurité juridique.
Un quatrième recours en annulation visant la loi, porté par la Plate forme de la Santé Men-tale, regroupant les instituts de formation à la psychothérapie, visera à porter à la Cour la discrimination que la loi organise en n’auto-risant plus que l’enseignement de la psycho-thérapie par les hautes écoles et les univer-sités, alors que les écoles et organismes de formation ont eu le leadership durant plus de cinquante ans et se voient ainsi privées de possibilité d’accomplir et poursuivre leur mission.
Un cinquième recours au Conseil d'État visant un Arrêté Royal définissant la composi-tion d’un organe de concertation (le conseil fédéral de la santé mentale), sera porté par l’APPPsy (Association des Psychologues Prati-ciens d’Orientation Psychanalytique). Il visera à faire casser l’arrêté royal pour discrimination et violation de la représentativité des diverses associations professionnelles.
Par ailleurs, nombre de psychologues ont écrit une lettre ouverte à la Commission des Psy-chologues, leur « ordre » pour dénoncer son fonctionnement peu transparent et peu dé-mocratique, notamment par sa composition des organes d’avis : la Fédération Belge des Psychologues, FBP, qui dispose de 14 sièges sur 16, alors que cette association ne repré-sente que 3500 psychologues sur les 10661 affiliés à la Commission. Il y a un vent de malaise parmi les organes représentants les psychologues car certains semblent dicter leur vision à la Ministre. Tout ceci est aussi une conséquence de la loi sur la psychothéra-pie qui faisait (avant l’arrêt) la part belle à la psychologie clinique.
La Ministre Maggie De Block, en passant sa loi en force contre l’avis des professionnels existants et en n’organisant pas de concerta-tion véritable, a ainsi créé les conditions d’un vent contraire qui se manifeste par les recours juridiques. L’application de la loi va être primo reporté de plusieurs mois voir un an, le temps que la Cour constitutionnelle statue sur les re-cours en annulation, avant sans nul doute des besoins de réajustements tenant compte des arrêts de la dite Cour. Le dossier suivra encore divers rebondissements. Le parlement devra peut-être se ressaisir du dossier.
Les psychothérapeutes, clients, ou personnes désireuses de porter leur contribution à cette dynamique, peuvent apporter leur engage-ment en participant aux réunions, recours, asbl, en apportant leur participation financière pour étudier et déposer les recours en justice.
Plusieurs asbl ou associations sont en premières lignes :
www.alter-psy.org www.plateforme-psysm.be http://apppsy.be www.lbfsm.be
Votre adhésion, votre participation et vos contributions financières soutiennent la dynamique.
« Qui sème le vent récolte la tempête ».
Voila l’adage que la Ministre Maggie Deblock pourra sans doute méditer en 2017…
Raphaël Dugailliez
* « Evidence Based Medecine » : est une approche fortement utilisée en médecine pour développer et choisir les traitements efficaces, notamment les médicaments. Ce paradigme essentiellement médical se nourrit de preuves provenant d'études cliniques systématiques, telles que des essais contrôlés randomisés en double aveugle, des méta-analyses, éventuellement des études transversales ou de suivi bien construites. Cependant, la transposition de ce paradigme dans le secteur de la santé mentale est vivement remise en question par de nombreux acteurs de la santé mentale en raison des multiples autres facteurs influençant les résultats (qualité de la relation thérapeutique, rareté des publications scientifiques limités à quelques approches psychothérapeu-tiques et manque de moyens pour la recherche, paradigme que les troubles mentaux sont des maladies alors qu’ils sont aussi des réactions à l’environnement socio-économique, etc.