Plaidoyer pour une représentation professionnelle forte des praticiens de santé holistique
Il ne se passe pas un jour où les médias – traditionnels,
institutionnels ou sociaux – nous informent que
des décisions ont été prises sous l’influence de lobbys.
Qu’en penser ?
Mais tout d’abord, qu’est-ce qu’un lobby ?
Un lobby désigne un réseau de personnes créé pour promouvoir et défendre les intérêts privés d'un groupe donné en exerçant des pressions ou influences sur des personnes ou institutions publiques détentrices de pouvoir. Bien que le mot « lobby » soit perçu comme négatif dans la majorité de l’opinion publique, le lobbying est une activité vieille comme le monde qui s’est juste considérablement développée en quelques décennies, en devenant parfois assez occulte et très inventive quand elle s’exerce autour de la Commission européenne.
« Lobbyer », c’est faire valoir ses intérêts. Pour lobbyer efficacement, il faut une cohérence, une concentration des mêmes énergies vers un même but. Il faut de la puissance, de la détermination, une stratégie, des ressources, de la patience, de l’humilité, du temps, beaucoup de travail, du désintéressement, de la clairvoyance sur les rapports de force, sur la tuyauterie institutionnelle, sur les processus de décision, etc.
Il y a des buts nobles et d’autres vils. Les nobles concernent les lobbys qui visent l’intérêt général, les vils sont souvent mus par le seul but du profit à tout prix et du pouvoir. Parfois d’autres sont mus par un mix des deux...
L’orgueil, les conflits internes, le désintérêt, l’impatience, la nonchalance sont autant d’attitudes qui déforcent la puissance d’un lobby. Certains lobbys ont bonne presse, d’autres pas, d’autres n’utilisent pas la presse, d’autres se dispersent, se décrédibilisent en « sortant du bois » pour tout et n’importe quoi.
Devons-nous juger les lobbys ?
Il s’agit juste d’être dans le discernement afin de voir quelles pressions ils exercent pour quels buts. Il est aisé pour chacun de savoir que Monsanto exerce un lobbying qui ne vise pas la société dont les lecteurs d’AGENDA PLUS rêvent.
Un des lobbys bien organisé en Belgique et qui a de très bon relais est le lobby médical, lobby très puissant, réparti en plusieurs associations, formelles, informelles. Il exerce une influence considérable auprès des Gouvernements, dans les Parlements, dans les Universités, dans la presse.
Savez-vous que ce lobby a largement contribué à restreindre très fortement le champ de la pratique de la psychothérapie lors de la modification de la loi au premier semestre 2016 ? Les doyens des facultés de médecine par exemple ont été fort influents pour imposer la logique médicale de « l’évidence based medecine » au secteur de la santé mentale alors que ce transfert est très préjudiciable à la pratique même de la psychothérapie et aux professionnels de ce secteur.
Et qu’en est-il dans le milieu de la santé holistique ou santé naturelle ?
Force est de constater que beaucoup de praticiens sont mal à l’aise avec les lobbys que sont leur Fédération Professionnelle. Ils n’osent pas s’engager, sont vite lassés des réunions, n’y trouvent pas leur compte, etc.
Nombre les rejettent, croyant ainsi être audessus et plus libres. En conséquence, ils laissent le champ libre aux lobbys traditionnels qui ne désirent pas ouvrir le champ de la santé aux praticiens de santé naturelle et/ ou holistique. En les rejetant, ils renforcent ce contre quoi ils luttent.
D’autres ont compris leur force et y sont associés, mais dispersent une grande partie de l’énergie investie dans des querelles internes de pouvoir, de concurrence entre fédérations, diminuant ainsi leur puissance et les décrédibilisant auprès des cibles que sont les parlementaires, les ministres, etc. Il est amusant, dans une logique systémique, de voir le nombre de professions représenté par plusieurs fédérations professionnelles (ostéopathes, psychothérapeutes, logopèdes, psychologues, etc) qui ne s’entendent pas et se font concurrence. Toutes ces énergies dispersées nuisent gravement aux fondamentaux de la défense de la pratique d’une profession. Il n’est pas rare que certaines fédérations se disputent entre elles sur des thématiques mineures et vont en oublier de viser l’essentiel : c’est-à-dire de rentrer plus fortement et plus durablement dans le système de santé pour en faire partie intégrante, obtenir des crédits pour la recherche scientifique, pour la reconnaissance institutionnelle d’une profession et peser sur les modes de financement de l’INAMI, par exemple.
Et puis il y a ceux qui rament, car bien que portés par une saine relation au pouvoir, ils développent un travail considérable, dans l’ombre, mais avec très peu de soutien.
Nombre de fédérations de professionnels ont trop peu de membres qui cotisent, et encore moins de membres qui s’impliquent dans les instances des Asbl et des instances d’avis. Une fédération qui ne pèse pas lourd en termes de nombre de membres n’a pas de poids face au politique. Et dès lors, ce beau travail de la fédération est comme évanescent aux yeux des acteurs du système institutionnel.
Tant que cela durera, la transformation du monde et du système de santé se fera à un rythme dicté par les lobbys organisés et au gré de leurs intérêts. Au rythme des tendances actuelles, la santé naturelle restera encore des années à part du système de santé avec tous les inconvénients que cela procure autant pour les utilisateurs que pour les professionnels.
Que peut-on observer dans une fédération professionnelle forte ?
• Elle est porteuse d’une déontologie forte et est encore plus forte et crédible avec une instance interne servant d’ordre disciplinaire qui sait appliquer une éthique et une déontologie rigoureuse ;
• Elle est représentée par un ou plusieurs professionnels charismatiques, expérimentés, bons communicateurs, humbles et déterminés, qui connaissent le milieu institutionnel ;
• Elle a une culture du consensus et de la démocratie forte. Elle ne s’attache pas à mettre ses représentants sur un piédestal ;
• Elle s’arc-boute sur une culture de l’intelligence collective, partagée, elle cultive la culture de la co-construction ;
• Elle instaure un système d’accréditation de ses membres en lien avec une politique de formation continue ;
• Elle organise des colloques, congrès, qui permettent de présenter à ses membres les meilleures pratiques en cours. Elle est en lien avec les instituts de formation pour définir et coordonner les standards de formation à faire acquérir par les apprenants ;
• Elle développe un bon réseau avec des représentants politiques, institutionnels ;
• Elle a pris une forme prescrite par une loi (par exemple la loi du 31 mars 1898 sur les unions professionnelles) et elle respecte une juste représentation de ses membres ;
• Elle vise le bon équilibre entre la représentation de ses membres et la crédibilité du métier représenté auprès du grand public ;
• Elle peut aider à négocier des contrats d’assurance professionnelle adapté à la pratique ;
• Idéalement, elle a un ou plusieurs membres de personnel qui sont des professionnels, défrayés pour leur travail, qualifiés, compétents ;
Pour la plupart des professionnels de santé naturelle qui sont également lecteurs d’Agenda plus, invitation leur est faite de voir s’ils sont reliés à une fédération professionnelle et si le mode de fonctionnement de la fédération correspond au maximum d’items décrits ci-dessus.
Il est, en effet, primordial que les fédérations professionnelles de santé naturelle soient renforcées, sur tous leurs axes. Aujourd’hui encore, pour éviter 40 euros de cotisation, des professionnels préfèrent agir seul au lieu de se fédérer. Et parfois, ces mêmes s’insurgeront contre tel lobby européen qui a obtenu l’influence d’un commissaire européen…
En Suisse, le travail de la fondation « ASCA » devrait inspirer tout un chacun, usagers et prestataires. 15 000 prestataires s’y sont fédérés et ont obtenu des accords avec assurances mutuelles et leur travail fait écho à nombres d’items de la liste énoncée supra sur la pertinence des fédérations professionnelles fortes. Plus que jamais, « l’union fait la force » est un éternel sujet belge de réflexion et d’action, surtout à cette époque où les systèmes de santé doivent interagir pour créer des synergies efficaces pour associer les forces de chaque cadre de référence.
Raphaël Dugailliez
http://www.asca.ch/