L’Empathie, un lien qui nous lie à l’autre
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L’Empathie, un lien qui nous lie à l’autre



La relation à l’autre est souvent complexe. Elle est cause de tensions parfois. Source de joie ou d’inspiration, elle est aussi l’occasion de se connaître mieux et de se libérer de certaines résistances.





Montrer de l’empathie, ce n’est pas exprimer de la pitié, c’est la faculté de “vivre de l’intérieur” ce que l’autre ressent. Provenant du mot grec “empatheia”, le mot empathie est composé du préfixe “em”, qui signifie « dedans », et du grec pathos, qui signifie « souffrance, affection ». Le terme empathie a été utilisé pour la première fois par Robert Vischer, un philosophe allemand, vers la fin du XIXème siècle. Il inventa le mot “Einfühlung”, pour désigner ce que l’on ressent de l’intérieur lorsqu’on regarde une oeuvre d’art. Cette première désignation se rapporte donc à l’esthétique. Des psychologues se sont appropriés le terme en se disant que ce que l’on ressent devant une oeuvre d’art, on peut également le ressentir face aux personnes. En 1909, Edward Thitchener, psychologue anglais traduit le mot ‘Einfühlung” par empathie.
Cependant, l’attitude empathique ne fait pas l’impasse sur la raison, sur l’effort intellectuel de comprendre l’autre.

Neurones miroirs

Pour comprendre davantage l’empathie comme mécanisme intrinsèque de l’homme dans son environnement social, des recherches en neurosciences ont permis de découvrir chez l’homme que lorsque l’on effectue une action, des neurones moteurs (des cellules nerveuses qui commandent des muscles) s’activent chez la personne qui nous regarde accomplir une action. Les neurones miroirs favorisent la communication et l’apprentissage par l’imitation. Si nous fixons le cerveau par imagerie médicale et que l’on demande à quelqu’un de boire de l’eau, une partie du cerveau s’illumine lors de cette action. Si nous étudions le cerveau de la personne qui regarde l’action, on remarquera que la même zone cérébrale s’illumine également chez cette personne.
Lorsque nous voyons quelqu’un qui souffre, dans notre cerveau, les mêmes territoires sont activés que chez la personne qui a mal. Ces études permettent de faire des découvertes importantes sur les maladies psychiques où l’empathie fait défaut. Là où, chez la majeure partie des personnes, des territoires neuronaux s’activent lorsqu’ils perçoivent de la douleur chez autrui, chez des personnes à caractère psychopathique, il y a une diminution significative de ce type d’activité cérébrale.
Cependant, l’empathie est plus que la faculté de “se mettre à la place de”. Pour Serge Tisseron, psychiatre et docteur en psychologie, la capacité d’éprouver l’émotion de l’autre est une reconstruction mentale. Celle-ci ne suffit pas à expliquer l’extraordinaire complexité de l’empathie chez une personne humaine. Elle n’est pas figée à la naissance et elle s’éduque.

Types d’empathie

La psychologie regroupe trois types d’empathie :
L’empathie cognitive : la faculté de l’intelligence de comprendre le point de vue et l’intention d’autrui. L’empathie émotionnelle (ou affective) : quelles sont les émotions que l’autre éprouve ? On identifie et on comprend les expressions corporelles. L’empathie compassionnelle : on ressent la souffrance de l’autre.

L’expérience de l’appartenance

Pour Serge Tisseron, cette dernière composante, qu’il appelle “empathie complète’ est le garant qu’une personne entretient des rapports sains avec son environnement. Cependant, l’empathie peut se limiter aux proches ou à ceux qui nous ressemblent lorsque par exemple l’empathie cognitive fait défaut. Dans une interview accordée au Harvard Business Review, il fait état d’une expérimentation effectuée par le psychologue Paul Bloom (Université de Yale) qui a démontré les limites de l’empathie en mettant en scène trois poupées, l’une doit ouvrir une boîte, une seconde doit lui venir en aide et une troisième vient l’en empêcher. De très jeunes enfants (7 ou 8 mois) récompensent naturellement la poupée qui vient en aide. Il a refait le même exercice en habillant les bébés et la ‘méchante poupée’ d’un même T-shirt jaune. Résultat, les bébés vont récompenser la méchante poupée.
Dès qu’il y a rivalité, les facultés à être empathique sont inhibées. Lors de manifestations si un des manifestants se fait passer à tabac par les forces de l‘ordre, les grévistes éprouveront de la sympathie pour lui. En revanche, si c’est le policier qui se fait rouer de coups, on a moins de sympathie pour lui. Le danger réside dans le fait que nous éprouvons de l’empathie uniquement pour des personnes qui sont issues du même groupe et qu’elle s’exerce moins dans des relations humaines antagonistes.

Empathie pour soi

Avoir une bonne empathie implique un sens de l’engagement. Si l’on veut être empathique avec des collègues de travail, rien de tel que de leur parler, d’échanger sur ce qu’ils vivent au lieu d’imaginer ce qu’ils vivent, quelles seraient leurs émotions. Une bonne empathie permet de ressentir les émotions et prévoir les réactions de son interlocuteur. Lorsque celui-ci a l’impression qu’il se sent compris, cela ouvre la voie à de la confiance et à une bonne entente. L’empathie véritable permet de renouer un lien qui semble avoir été rompu.

Mais attention, l’empathie émotionnelle n’est pas uniquement tournée vers les autres. Elle se rapporte aussi à soi. Et c’est un facteur important. Pour pouvoir identifier les émotions des autres, cela implique nécessairement que l’on sache identifier non seulement nos émotions positives mais également des émotions négatives comme la colère, l’amertume, la honte… Serge Tisseron précise que plus on cherche à masquer notre propre honte, plus on aura du mal à identifier la honte chez une autre personne et avoir de l’empathie pour elle. Plus nous sommes au clair avec nos émotions, plus nous acceptons et comprenons les émotions des autres. Il enfonce le clou avec l’empathie cognitive : comprendre les raisons qui suscitent des émotions chez nous permettra davantage d’être empathique avec autrui et mettre en perspective les raisons qui ont poussé l’autre à avoir telle ou telle émotion. Il n’y a finalement de la compréhension de la diversité des points de vue que dans la mesure où nous acceptons justement… la multiplicité des points de vue.

Trop d’empathie tue l’empathie

Charles Figley, professeur en psychologie et thérapeute familiale, explore le concept de fatigue compassionnelle comme étant “un état d’épuisement et de dysfonctionnement biologique, psychologique et émotionnel, le résultat prolongé au stress de la compassion”. Ce terme référait surtout au personnel soignant dans des environnements exigeants où l’empathie est constamment sollicitée. Par extension, le terme de “fatigue compassionnelle” a trouvé écho dans la sociologie des médias. À force d’être submergé de nouvelles négatives et d’être surexposés à des images d’horreur, on peut éprouver également une fermeture émotionnelle. Ainsi lit-on dans un post sur la page Facebook d’une aficionado des réseaux sociaux et de la télévision : “ Je suis si fatiguée. J’éprouve de l’angoisse suite au bombardement d’images et de nouvelles négatives sur l’état du monde. Il y a tant de nouvelles négatives que j’ai l’impression de me vider de mes émotions. Je suis en train de devenir complètement apathique…”.

Alors faut-il pour autant cesser d’être empathique de peur de devenir apathique? Matthieu Ricard définit la fatigue compassionnelle comme une forme de burnout liée à l’empathie. C’est une ‘fatigue de l’empathie’. Pour le bouddhiste, la compassion “est la forme que prend l’amour altruiste lorsqu’il est confronté aux souffrances d’autrui”.
Si notre faculté d’être empathique semble être limitée, notre faculté d’aimer l’est bien moins.
Cela nous invite à l’optimisme.

Sébastien de Fooz
Auteur de “Partir chez soi. Changer de regard. S’ouvrir à l’inattendu.” Ed. Racine 2019
www.sebastiendefooz.com

RÉFÉRENCES :
• The Guardian: Is compassion fatigue inevitable in an age of 24-hour news ? (2 août 2018)
• Harvard Business review, interview avec Serge Tisseron, hors série août-septembre 2018
• www.matthieuricard.org



Paru dans l'Agenda Plus N° 314 de Février 2020
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