A la recherche de l’image de soi
Comment s’.labore l’image que nous avons de nousm.mes
? Quelle est la place du regard des autres dans
la construction de l’image de soi ? Quelle est la place de
l’apparence dans notre vie et comment ne pas la nier ni
la survaloriser ? Tout est question de connaissance de soi,
d’estime, d’amour et de vie. Tout un programme...
Dans le ventre de la mère, le fœtus fait l’expé-rience d’une multitude de sensations. Sons, goûts, odeurs, mouvements s’entrelacent. La voix maternelle, les bruits confus de ses pleurs, les hoquètements de son rire, les glougloute-ments de sa tuyauterie viscérale toujours en action se mêlent à diverses odeurs internes, au goût spécial du liquide amniotique, aux varia-tions de lumière et aussi aux suçotements (exquis sans doute !) de son propre pouce de bébé en formation.... Sans compter les humeurs de la mère, ses joies et ses tourments qui induisent des changements hormonaux. Le bébé se ressent donc comme une per-ception ; il perçoit des sensations. Il n’existe pas, à cette époque-là de la vie, d’image de soi visuelle. Il existe juste des sensations mais cet ensemble de sensations a une cohérence.
En effet, les gargouillis d’un intestin, les sons de la voix, les battements d’un cœur, consti-tuent une sorte d’empreinte primitive et pre-mière tout à fait personnelle. En clair, les gar-gouillis de Madame Dupont ne seront pas les mêmes que les gargouillis de Madame Dubois. Le bébé Dupont ne percevra pas les mêmes sensations que le bébé Dubois. Chaque fœtus reçoit des données sensorielles spécifiques, qui donneront lieu à un adulte doté d’une « image » sensorielle unique de lui-même.
L’image de soi, ce sont les caractéristiques que chacun s’attribue, c’est la perception que chacun a de soi-même. Perception qui s’éla-bore à partir du présent mais aussi du passé et notamment de ce tissage premier de sen-sations dans le ventre de la mère. Une image inconsciente du corps se forme dès les pre-miers mois. Adulte, chacun porte en lui cette image sensorielle inconsciente et s’y réfère sans le savoir.
Traces
S’y mêlent bien évidemment la petite enfance et l’enfance avec son cortège d’engrammes, traces laissées dans les centres nerveux, le cœur et les tripes par les évènements ou les expériences marquantes.
Les réussites éclatantes, les maladies ou les blessures, les communions avec la nature, les émois de toutes sortes procurent diverses émotions : joie, tristesse, peur, etc.
Les paroles et réactions du père, de la mère, des sœurs et frères, des professeurs, des amis et aussi des personnes qui ont joué un rôle important dans la vie de l’enfant tiennent une place de choix dans ces émotions.
Un enfant qui est valorisé pour ce qu’il est et dont les qualités sont reconnues aura, adulte, une image très différente d’un enfant qui est beaucoup critiqué.
Ceci dit, la plupart du temps, la réalité de l’enfance n’est pas nécessairement mani-chéenne : on peut être valorisé par le père et moins par la mère, par exemple. Ou certaines parties de la personnalité de l’enfant peuvent être davantage mises en avant que d’autres. Tous les cas de figures sont possibles, ce sont ces différences qui font la complexité, et la richesse aussi, de l’image de soi.
La place de l’apparence
On s’aperçoit que le moi et l’image que l’on en a ne sont pas aussi distincts que l’on pour-rait le croire. Certains auraient tendance à penser que l’image de soi n’est que jeu des apparences dont il est bon de se détacher. Mais cela va bien plus loin lorsque l’on se rend compte que l’image de soi est avant tout une mémoire. Cette mémoire n’est heureusement pas gelée. Certains blocs de glace peuvent fondre grâce à un présent vivant. Oui, bien heureusement, on peut se sentir laide à 20 ans et magnifiquement épanouie à 70, pour ne parler que d’apparence. Mais l‘apparence existe-t-elle indépendamment de l’être ? Toute une vie est là, derrière...
La question se pose : quelle place occupe l’apparence dans l’image de soi ? Une place prépondérante, bien plus importante qu’on ne pourrait le penser. En effet, l’image de soi est une image mentale qui est largement fa-çonnée par le regard des autres. Le regard des autres contribue à construire l’estime de soi, d’où procède l’image de soi.
Toute personne qui compte laissera des traces qui s’inscriront dans l’estime que chacun a de lui-même. Il faudra faire avec cette limite. Ce seront des handicaps et des richesses. Parfois des handicaps qui deviendront des richesses. Ou pas. En tous cas, les traces seront là. C’est dans les années de prime jeunesse que se construit ce capital précieux qu’est l’estime de soi. Si l’estime de soi est solide, le rapport à l’apparence aura moins d’importance que si l’estime de soi est faible.
Beauté et discrimination
Quoi qu’il en soit, que l’estime de soi soit haute ou basse, le rapport à l’apparence est une donnée inamovible avec laquelle il faut composer. Oui, il faut composer toute sa vie avec le corps et la tête qu’on a.
La discrimination sociale basée sur l’appa-rence est une réalité. Les portes s’ouvrent de-vant les personnes belles et aimables, comme le montrent de doctes recherches anglo-saxonnes. Le problème est que dès qu’une personne belle apparaît, on lui attribue des qualités qui n’ont rien à voir avec la beauté proprement dite. Le psychopathe de Mi-lwaukee avait un sourire d’ange, une douceur de bébé, des yeux cristallins, et on ne pouvait l’imaginer que sensible et tendre ... et pour-tant ! L’apparence est parfois bien trompeuse.
A l’adolescence, qui est une période charnière pour la construction identitaire et l’image de soi, le souci de l’apparence est omniprésent. Les ados se moquent, blessent, valorisent, re-jettent et acceptent l’autre majoritairement en fonction de l’apparence. L’évaluation de l’appa-rence est le premier critère dans la hausse ou la baisse de l’estime de soi. Ce critère reste d’ail-leurs très présent tout au long de la vie.
Le poids est un facteur discriminant largement cité. Ainsi, un premier de classe intelligent qui est trop bien portant par rapport à la norme et qui ne se sent pas attirant, peut avoir une estime de soi bien moins importante qu’un dernier de classe attirant et plus largement accepté par les autres. Les résultats scolaires passent après le poids, la taille, l’habillement et la façon de parler.
Trouver son style
L’image de soi se trouve être le pont entre l’in-tériorité et l’extériorité. Elle est une interface entre l’intimité et l’apparence. Une interface à travailler inlassablement puisqu’elle définit comment on se voit... et donc comment on se montre aux autres. L’apparence, constituée du visage, du corps, de l’habillement, de la façon de se mouvoir, devrait, dans l’idéal, s’ajuster à l’identité personnelle afin qu’il n’y ait pas un trop grand écart entre comment l’on se sent et ce que l’on montre. Dès que les deux coïn-cident, c’est tout simplement plus confortable à vivre. Mais ce n’est pas donné d’emblée.
Cela prend du temps. Par ailleurs, le besoin de se conformer, s’il est vécu fortement dans l’adolescence, reste prégnant chez bon nombre de personnes adultes. Dès lors, s’as-sumer tel que l’on est, et oser, par exemple, faire des choix vestimentaires qui sont l’ex-pression de sa personnalité s’avère être, au même titre que toute autre évolution, un pro-cessus de prise de conscience. Car il s’agit, in fine, de bien se connaître et de comprendre comment manifester au mieux son identité. Cela ne signifie pas nécessairement qu’il faille toujours s’habiller de la même façon, vu que différentes facettes composent une personna-lité. Mais il y a une cohérence.
La vie pédagogue
Ne mésestimons pas la portée de l’apparence, mais mettons-la à sa juste place. Laquelle ? Où est sa place ? Comment on traite l’appa-rence a largement maille à partir avec l’image de soi. La personne dont l’image de soi n’est pas positive va croire que les autres la per-çoivent d’emblée négativement. Elle se repré-sente sans charme, ou peu intelligente, peu intéressante, peu fréquentable, mal habillée quoi qu’elle fasse, trop grosse, trop petite, trop maigre, peu aimable. Peu aimable, là est la souffrance : qu’on ne peut pas aimer.
Elle va mettre en place des comportements qui vont renforcer cette image dévalorisée. A l’inverse, la personne qui a une image positive d’elle-même, basée sur une bonne estime de soi, va renforcer une attitude de valorisation personnelle.
Assez désespérant, non ? Pas vraiment, car l’image de soi n’est pas figée. Elle évolue avec l’amour, l’amitié, les défis relevés, la confron-tation avec le social, le travail, les réussites, l’argent gagné, les ateliers créatifs, les voyages à l’autre bout du monde ou les contemplations immobiles, et tant, tant, tant d’autres choses. La vie tout simplement qui en toute chose est la meilleure des pédagogues. Bien heureusement !
L’estime de soi
Dès lors, un ajustement peut se faire entre ce que l’on montre et comment l’on se sent à l’intérieur. L’image de soi s’affine, se modifie, se positivise au fur et à mesure que l’estime de soi grandit. Dès que cette estime est présente, l’acceptation des singularités deviennent plus aisées. Un nez retroussé que l’on n’acceptait pas devient une marque de fabrique. Et en cela, l’âge peut jouer favorablement. On peut vraiment s’épanouir en estime en vieillissant puisqu’il est nécessaire et sage de s’adapter à des modifications irréversibles et de les ac-cepter, ceci en cultivant ce qui ne peut nous être enlevé : notre intériorité. La beauté de l‘intériorité rejaillit de toute façon automati-quement dans la façon dont on est présent à la vie, aux autres et à soi-même. A un certain moment, il se peut tout simplement qu’on relativise l’importance qu’on accordait à l’ap-parence dans sa propre vie, sans cependant la méconnaître.
L’image de soi se modifie au cours d’une vie car elle a une relation étroite avec la connais-sance de soi. Or, il se fait que généralement on arrive à un peu mieux se connaître au cours du temps qui passe.
Un moi idéal et survalorisé laisse place à un moi plus réel, pétri d’un peu d’humilité grâce aux défaites et aux déceptions. Les illusions sur soi-même s’effritent, la vie tape sur les nez présomptueux, les caquets sont rabattus. On se libère d’un moi idéal inatteignable et prétentieux.
Par ailleurs, une image dégradée du moi peut s’inverser. C’est toujours un apprentissage et souvent un travail. Mais c’est possible. Grâce à diverses expériences, grâce à des grandes ou petites réussites signifiantes, grâce à des prises de conscience, grâce à des démarches personnelles, grâce à l’amour.
L’amour des autres, mais aussi de soi-même. La personne se voit davantage telle qu’elle est, l’écaille de ses yeux tombe. La mésestime peut laisser la place à l’estime de soi : l’image de soi devient aimable.
Durant la vie, il devient parfois plus aisé de s’ajuster un peu plus à soi-même. On se met en route vers le vaste pays de soi-même, de l’acceptation de soi-même, de l’amour de soi-même, du respect de soi-même, et c’est précieux...<
Marie-Andrée Delhamende
J.D. Nasio, «Mon corps et ses images » (Payot).
Paru dans l'Agenda Plus N° 284 de Février 2017