Comprendre l’hypnose et ses outils : un enjeu de liberté, un enjeu de soin !
Pour beaucoup de gens, l’hypnose est un phénomène de foire, à rapprocher des prestidigitateurs. Certes, il y a de nombreux spectacles où l’hypnose est utilisée. Mais c’est surtout un outil extrêmement puissant d’infl uence sur les actes, les émotions et la pensée. Les techniques rassemblées sous le nom d’hypnose sont en fait millénaires et rejoignent méditations, prières, pratiques initiatiques, ascétiques ou artisanales.
Comme tous les outils, les techniques hypnotiques peuvent être utilisées pour le meil-leur… ou pour le pire. Il y a donc une ambiguïté et une “éthique” à respecter pour ceux qui y sont initiés. Car très intimement, l’humain semble “hackable” comme le disent les manipulateurs de la publicité. Et les failles de sécurité de notre psyché sont facilement contournées par l’hypnose et ses dérivés. Voilà quelques éléments de compréhension des mécanismes hypnotiques à l’usage du citoyen pour rester libre et en bonne santé. Les connaître permettra de les utiliser pour prendre soin ou pour s’en protéger effi cace-ment quand on les reconnait.
Modalités de relation au monde : État de conscience ordinaire ou modifié
Il faut d’abord comprendre que notre état d’être au monde, notre relation aux sens, aux stimuli sensoriels peuvent se trouver dans différentes modalités. “En mode…” comme disent les jeunes. Et que nous passons régu-lièrement d’un mode à un autre. Et ce, tout à fait spontanément, tout au long de la journée. On différencie de manière schématique deux “modes”: l’état ordinaire de conscience et l’état modifi é de conscience. C’est une repré-sentation schématique et nous sommes continuellement dans toutes les nuances de ces deux états mélangées. Malgré les termes trompeurs, il faut bien comprendre que l’état modifi é de conscience est tout autant que l’état ordinaire tout à fait banal et quotidien. L’état ordinaire de conscience (EOC) correspond à une conscience critique de l’environnement immédiat. C’est un mode où toute information est en permanence pesée, évaluée. C’est, pourrait on dire, une relation rationnelle, “inquiète” au réel. Le cerveau y est utilisé comme un calculateur de probabilité. Et c’est hélas notre modalité dominante d’être au monde. Car il s’agit tou-jours de faire face ou de s’enfuir. Dans cet état, le rapport au temps est celui que nous avons le plus souvent, se déroulant au fi l des heures. Le rapport à la logique et à la causali-té sont aussi du domaine du commun accord collectif consenti. C’est en fait un état de conscience que nous partageons en commun dans un conditionnement d’espèce avec les autres êtres humains.
En revanche, dans l'état modifi é de conscience (EMC), le rapport au temps se transforme. Dans cet état, le temps peut se rétrécir, ou au contraire se dilater. Ces EMC peuvent être positifs comme négatifs. Pour l’illustrer, pensez à ces moment où vous vous amusez et où le temps passe en un éclair. Pensez à la rêverie d’une pensée intérieure sur l’autoroute ou sous la douche. Pensez à un moment passé à écouter de la musique, concentré. Tout cela est EMC positif spon-tané. Mais tout autant, pensez à un moment de grand stress avant un examen, ou pendant une agression. Ce sont des moments d’EMC, mais négatifs. Les EMC sont des états d’hyp-nose. Le rapport à la logique n’a plus à voir avec le “bon sens”, avec les règles communé-ment admises. Dans ces EMC, les liens entre les concepts n’ont pas à voir avec les liens de causalité, n’ont pas à voir avec la raison. Ils vous sont propres. Telle musique vous fait penser à votre frère ou à quelqu’un que vous aimez, vous met dans tel état d’âme. A l’inverse, tel examen à passer, et tout votre corps pense y jouer sa vie. Ces liens entre les concepts, les événements et les idées sont strictement singuliers.
Réassocier et changer les corrélations entre concepts: le rôle des suggestions hypnotiques.
Hors justement, dans un EMC, les liens entre les concepts sont susceptibles d’être modi-fi és par des “suggestions” hypnotiques exté-rieures. Défaire ou Mettre ensemble des concepts, c’est tout l’enjeu en thérapeutique, ou en manipulation. Arrêter de fumer n’a rien à voir avec la raison. Il faut aller tra-vailler en profondeur sur pourquoi “bien-être” et “fumer” ont été mis en corrélation, concaténés (de cum - catenare = enchaîner ensemble). Au fur et à mesure des sugges-tions hypnotiques, on peut ainsi changer les concaténations de concepts, et en créer de nouvelles. Et progressivement changer la "grammaire" interne de relation au monde. Ainsi après avoir été soumis aux suggestions publicitaires hypnotiques, quand vous enten-dez le “pshitt” d’un bruit de décapsulage de canette, peut-être vous visualisez un coca qui s’ouvre et vous désaltère… Vous avez été “hackés”, “resetés” disent les manipulateurs. A l’inverse, après avoir été accompagné en hypnose pour arrêter de fumer, peut-être quand vous verrez quelqu’un fumer, bien loin de penser à un petit verre entre amis ou à une pause bien méritée, vous pourrez aspirer à la liberté, et à un grand bol d’air frais. Après une mise en place de suggestions hypnotiques, un examen, ou un oral, avant complètement déroutant, pourra peut-être être associé à un jeu, un défi à relever.
Vous comprenez donc que c’est tout l’objet de l’hypnose que de créer un état de concen-tration, de transe, pour pouvoir y semer des suggestions hypnotiques qui permettront de transformer le rapport au monde individuel et personnel.
Induction hypnotique : Mirroring et résonance.
Pour pouvoir induire une hypnose, il convient de se mettre en relation. Et de créer une "réso-nance" entre l’hypnotiseur et l’hypnotisé. Il s’agit au fond de vibrer à la même fréquence. Comme des oscillateurs, de se mettre au dia-pason l’un de l’autre. Volontairement.
Une hypnose ne peut exister que s’il existe un “canal de communication”. Il aura été rati-fi é par l’hypnotiseur et l’hypnotisé. Faute de quoi, la relation sera toujours perdue. Ainsi l’hypnose gouvernementale ou médiatique va créer et scénariser des “rendez vous” avec le public.
Il existe pour cela de très nombreuses tech-niques de “mirroring”. Elles vont accentuer le lien déjà toujours spontanément créé entre deux être humains, le renforcer. Ainsi le mir-roring respiratoire où, de manière volontaire, on va respirer à la même fréquence que l’autre. L’hypnotiseur va aussi parler à la fré-quence respiratoire de l’autre. Il existe aussi des éléments posturaux pour renforcer ou modifi er la relation. Notamment dans le soin, la position du soignant par rapport au patient, sa proxémie, vont modifi er la relation: debout et dominant à côté d’un patient diminué et alité, ou au contraire assis et compatissant, à égalité, au chevet du soigné ?
Dans le mirroring postural, l’hypnotiseur va adopter la même position que l’hypno-tisé (jambes ou bras croisés par exemple…). L’hypnotiseur va fi nalement tâcher de “res-sembler” à son patient. Ainsi de l’accent, du champ lexical, du niveau de langage. L'hypno-tiseur va reprendre les mots et les images de l’autre. Tout ceci s’opère spontanément entre humains. Mais dans l’hypnose, nous allons particulièrement y veiller.
Induction hypnotique: Concentration sur un objet et saturation des canaux sensoriels.
Il y a un lien entre la concentration et le passage d’un EOC à un EMC. Il faut que la conscience se concentre. C’est tout l’enjeu de ce qu’on appelle l’induction hypnotique : passer de l’EOC à l’EMC. Cette concentration va focaliser l'attention et vos sens sur un seul objet. Et tous les sens seront soient rassu-rés et non sollicités, soit au contraire satu-rés. Nous sommes en relation au monde par tous nos sens. Mais nous avons chacun des canaux d’encodage sensoriels préférentiels. Le terme VAKOG. Visuel- Auditif - Kinesthé-sique- Olfactif - Gustatif est utilisé pour par-courir ces différents sens. Telle personne va être plus sensible aux images, telle autre aux sons et aux paroles, telle autre enfi n plutôt aux impressions corporelles ou aux mouve-ments. L’hypnotiseur va déterminer le canal d’encodage préférentiel de l’hypnotisé. Puis il va l’utiliser pour l’induction comme pour le maintien de l’hypnose. Si quelqu’un est visuel, on utilisera volontiers une mire, une image, un fi lm, ou un pendule pour l’induction. Les mots utilisés auront trait à des métaphores, des images. Pour quelqu'un d'auditif, une chanson ou des paroles. Pour quelqu’un de kinesthésique une séance de massage, de sophrologie, ou de body scan, etc…
Une situation complètement inhabituelle génère de fait une induction hypnotique où tomberont toutes les barrières, justement quand rien n’est prévu par les conditionne-ments éducatifs, par les habitudes ou les références culturelles. Par exemple, au cours d’une agression ou d’un événement traumati-sant comme un accident, la victime passera de fait en situation de transe EMC négative. Le traumatisme est d’ailleurs un mode d’in-duction hypnotique. Les enfants victimes de violence ou battus en savent quelque chose. Quand la violence arrive, ils sont pris dans une transe hypnotique négative. De la même façon, une narration médiatique sans cesse rabâchée sur un événement impressionnant ou inhabituel comme une guerre ou une épi-démie sera, de fait, une induction hypnotique traumatique. Et je crois que, depuis plus de deux ans, nous avons vu se maintenir une transe hypnotique négative très délétère. La mise en scène d’une situation complète-ment inhabituelle, incohérente, où il n’y a plus aucun repère sera une induction hypnotique négative très effi cace. Et une fois le public mis en transe par cette violence explosive et répétée, on pourra à loisir reconcaténer les concepts ensemble et les réassocier. Ceci peut aboutir à des injonctions absurdes pour quiconque dans un EOC mais qui semblent cohérentes dans un EMC.
Un discours qui “parcourt “ le VAKOG est un discours hypnotique. Il faut savoir “décoder” ce qui a trait à la vue, aux images, à l’audi-tif, aux histoires, au kinesthésique et aux sensations dans le discours. Vous pouvez vous entraîner à analyser n’importe quel actuel politique au pouvoir qui truffe ainsi les discours “d'éléments de langage” mani-pulatoires. Un exercice simple et amusant peut-être de reconnaître dans un slogan publicitaire ou un discours public les phrases ou les mots ayant trait à telle ou telle senso-rialité du VAKOG. Nous avons décrit ici les éléments susceptibles de créer une induction pour une transe négative. Heureusement, une situation où tous vos sens sont rassurés est aussi en train de générer une induction hyp-notique, qui vous amène dans une transe hyp-notique positive.
Mise en place de suggestions: la Danse du “Pacing and leading”
L’hypnose va tâcher de générer, de maintenir et de stabiliser un EMC. Puis d'implémen-ter des “suggestions” hypnotiques. Et ainsi, de défaire ou de créer des liens, des ponts, entre des idées, des faits et des concepts éloignés. Il y a plusieurs niveaux d'hypnose. On peut parler de communication thérapeu-tique quand on établit déjà une confiance, un lien particulier. Et cela est réalisé spontané-ment par bien des gens. L’hypnose conver-sationnelle nécessite un peu plus de techni-cité. Il s’agit de filer au fur et à mesure d'une conversation, ou d'un cours à des étudiants par exemple, certains éléments d'hypnose. Il y a enfin l’hypnose formelle où l’on va vraiment établir et stabiliser une “transe” hypnotique. L’hypnose Ericksonienne de Milton Erickson, est une technique qui respecte fondamen-talement l’écologie de la personne. C’est la seule hypnose thérapeutique. Les hypnoses de spectacles, médiatiques, ou publicitaires sont au contraire des techniques brutales forçant, comme par un viol de la pensée, l’accès à la profondeur de l’”être au monde”. Elles ne sont que manipulation et doivent être moralement réprouvées. Pour conduire l’hypnose, l’hypnotiseur va passer son temps à “laisser faire” puis reprendre la direction de la conversation. On appelle ça, le “Pacing and leading”. Pacing, j’attends et je marque le tempo. Leading, je reprends la maîtrise et la conduite de la relation.
Un exemple peut-être parlant est celui du “YES SET” qui reste le standard du pacing and leading. Il s’agit d’une “séquence d’acquies-cement”. L’hypnotiseur énonce des truismes, des évidences, des constats. Il est dans le “pacing”. Par exemple: “Vous êtes assis sur votre chaise”. Mieux: “les pieds sont posés par terre. Le dos s’appuie sur le dossier de la chaise. Les mains sont posées sur les cuisses”. A toutes ces propositions, le cerveau de l’hypnotisé répond “OUI” sans y penser puisque ce sont des constats de réalité. Non pas “vous“ mais, “les jambes”, “le dos”, “les pieds”, participent d’un “découpage” en petits morceaux du patient qu’on appelle “langage dissociatif”. Il est très utile pour approfondir la transe. Après avoir énoncé les truismes, qui ne sont que des ratifications explicites de ce qui est constaté, on y ajoute une suggestion. “Leading”. Par exemple: “Et peut-être, la res-piration peut devenir plus ample et apaisée”. Le fait que le cerveau du patient ait validé automatiquement les premières propositions va créer un effet d'entraînement, d’inertie, le patient va aussi valider la dernière proposi-tion “respiration ample et apaisée".
Et si le patient effectivement apaise et ampli-fie son souffle. L’hypnotiseur va continuer et l’expliciter: “pacing”. “Je vois que la respiration s’apaise”. Puis proposer une nouvelle sugges-tion, reprise du leading: “peut-être les yeux ont-ils envie de se fermer”. Et ainsi de suite. Vous comprenez donc que l’hypnose est le tissage de suggestions et de constatations. Il s’agit donc d’une sorte de danse l’un avec l’autre ou l’on est tantôt le guide, tantôt guidé.
L’hypnose peut être un Poison ou un Remède : accompagnement thérapeutique ou manipulation.
Les outils hypnotiques sont de puissants leviers pour accompagner la souffrance en thérapeutique. Nous les utilisons quotidien-nement dans les blocs opératoires et dans les réanimations. Et de plus en plus de per-sonnels médicaux et paramédicaux sont for-més. Ces outils sont utiles dans les accom-pagnements psychologiques, tout autant pour diminuer l’anxiété que, par exemple, pour arrêter de fumer. Ils sont très puissants pour dompter les peurs mais aussi pour diminuer la souffrance. L’hypnoanalgésie est ainsi uti-lisée chaque jour dans tous les centres de lutte contre la douleur. Au fond, ils accom-pagnent la relation de soin au quotidien par la communication thérapeutique qu’ils per-mettent. Donc l’hypnose n’est pas forcément cette séance formelle derrière un pendule, une mire ou un “dormez, je le veux”. Elle est avant tout un travail sur la communication et toutes les modalités d’interactions patient-soignant: verbales, non verbales, paraver-bales, pour mieux accompagner les soins.
Mais c’est aussi un outil dangereux. Le mar-keting, les médias et les discours gouverne-mentaux ont fait main basse sur les fruits vénéneux de l’hypnose. Il est désormais deve-nu facile et monnaie courante de manipuler son prochain. Les outils médiatiques numé-riques de manipulation sont désormais surin-vestis et surpuissants. Trouver un espace ou un instant où votre pensée propre n’est pas détournée et pourrait se déployer est devenu une gageure. C’est désormais un enjeu pri-mordial de liberté pour nous, comme pour nos enfants, que de monter en compétence et en connaissance sur tous ces outils. Pour mieux leur échapper, pour mieux les déjouer, ou, pour le meilleur, mieux les utiliser, et mieux soigner.
S’il vous plaît d’approfondir, vous pourrez trouver de plus amples explications sur ces techniques dans les vidéos suivantes. Il existe désormais de très nombreux didacti-ciels d’hypnose et d’auto hypnose et de nom-breux et brillants ouvrages sur le sujet.
Dr Louis Fouché
médecin anesthésiste-réanimateur
Paru dans l'Agenda Plus N° de