De la souffrance au sens ...
Grâce à la relation aux autres, à l’action, à différents processus personnels de résilience, on peut lutter contre la souffrance.
La question du sens de celle-ci ne cesse cependant de se poser. La souffrance ferait-elle partie intégrante du processus de la vie ?

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Vie et mort sont intimement reliées. Vie et mort sont «un». Deux aspects d’une même chose. Deux aspects non séparés qui font que tout continue. Pas de vie sans fleurs, sans insectes pollinisateurs, sans troncs et branches, sans montagnes, sans animaux, sans bourgeons qui éclosent !
Mais sans chardons, sans échardes de bois, sans lave du volcan, sans vautours et mygales, sans les myriades de microbes et autres germes qui font mourir bêtes et gens, pas de vie non plus !!
Dans cette symphonie, rien n’est convenu, ni rose, ni tiède.
Il y a de grands mouvements passionnés. Des mouvements chaotiques, où tout se désorganise. Des villages sont submergés par des raz-de-marée, des maisons s’écroulent dans des tremblements de terre, des terres sont noyées par des inondations, les sous-sols brûlent. Le ciel même peut devenir gris, envahi par les cendres d’une éruption volcanique.
tout est mis à nu. Dévasté. Et la vie restaure autrement ce qui a été détruit. Elle reconstruit. Elle recrée. Elle réorganise. tout le temps, à l’infini. Autrement. La terre est sans cesse agressée. Depuis toujours. Depuis qu’elle est terre. La matière est appelée à se transformer. Ainsi en va-t-il de nos vies.
Les êtres humains ne font pas exception. Ils sont soumis aux mêmes lois que les autres organismes, faisant partie intégrante de la terre. Ils ont leurs razde- marée personnels, leurs incendies, leurs sous-sols attaqués. Nous sommes chacun dans notre vie confrontés à des bouleversements. Des bouleversements qui ont pour noms «maladies», «enfance maltraitée», «accidents graves», «deuils», «ruptures», «ruines», «chocs». On pourrait multiplier les exemples. Ce n’est pas difficile. Il suffit de regarder autour de soi. De penser aux vies de ses parents, de ses amis, à sa propre vie.
Précieuse présence
Il y a des souffrances dans chaque vie. Des souffrances parfois bien cachées. Chacun a les siennes et aux yeux des autres, elles paraissent parfois causées par des facteurs dérisoires. Mais pourtant, il n’est d’aune que soi-même. Pour chaque personne qui souffre, ce qu’elle vit est le plus terrible. Là, pas d’objectivité. Il n’y en a pas, du reste. Aussi doit-on accorder crédit à la souffrance d’autrui. Ceci sans juger si sa plainte est valide ou non. Qu’en savons-nous ? Nous ne savons pas comment le coeur de l’autre se tord, ni pourquoi. Nous ne savons pas non plus comment la personne qui souffre reçoit la présence de quelqu’un. La nôtre, par exemple. Parfois, il y a l’impossibilité d’entrer en relation de façon explicite lorsque l’on souffre. C’est à respecter. Mais cela ne veut pas dire que le lien à autrui ne soit pas essentiel.
Il est précieux d’être en relation lorsque l’on souffre. Et c’est vrai pour tous les cas de figures. La communication avec autrui, la présence d’autrui, pourvu qu’elle soit consciente des limites de chacun, est un facteur important de résilience, toutes les études l’attestent. Rappelons que le mot «résilience», du latin «salire», qui veut dire «sauter», signifie à la fois la capacité de résister à un traumatisme et celle de se reconstruire après lui. Il a été utilisé dans son acception psychologique pour la première fois par la psychologue américaine Emmy Werner dans les années 1955, et est connu du grand public grâce aux livres de Boris Cyrulnik qui montra notamment comment l’enfant malheureux peut inventer ses propres solutions pour rester en vie, et faire éventuellement de sa fragilité une force.
Tirer le rideau
C’est là, dans les sols fondateurs de l’enfance, que la souffrance est sans doute la plus profonde. Là où les corps et les âmes enfantines sont blessés. Les tortures peuvent adopter différentes formes, subtiles ou évidentes, cachées ou manifestes : les humiliations, les moqueries, l’indifférence, le déni, la tyrannie, la haine, la maltraitance, le manque de soins, l’isolement. Ces traitements sont souvent le fait de parents qui eux-mêmes ont souffert, et qui réagissent pathologiquement par rapport à ce qu’ils ont eux-mêmes vécus. L’enfant alors n’a pas droit à l’existence. Cela lui est refusé.
Comment vivre lorsqu’on n’a pas le droit à l’existence ? Lorsqu’aucun regard n’a été posé sur vous ? Ou alors, des regards malveillants, haineux, méprisants, accusateurs ? Comment vivre avec cette blessure ? C’est toute la question. Il faut trouver son chemin. Et ce n’est pas facile, car ce qui a été subi est tout simplement «irregardable» et irrecevable. Alors, il y a clivage. Quand on souffre d’un trauma, quel qu’il soit, et qu’il est impossible, pour vivre, de laisser l’horreur intacte en soi, on tire le rideau. On occulte. On vit à deux niveaux. Ou on ne se souvient plus. C’est une façon de survivre. Elle est légitime, bien sûr. C’est un mécanisme psychique bien connu pour se protéger des traumatismes.

N. Abraham, psychologue, montre que la personne qui a subi un grave trauma garde au fond d’elle-même toujours plus ou moins caché un «corps étranger ». Ce «corps étranger», cette chose qui est là, c’est ce qui n’est pas assimilable. La souffrance produite par le fait de mettre à jour cette chose qui n’est pas assimilable, serait trop grande. Le clivage a sa fonction. Peut-être ne sera- t-il jamais totalement levé. Il semble que la plupart des personnes apprennent à vivre avec. Peut-être, du reste, est-il parfois sage de ne pas tout mettre à jour. Ce qui importe, c’est de voir où, quand et avec qui opère le clivage. Où il y a occultation. Identifier cela, identifier le mécanisme et comment le présent peut être éventuellement touché par ce mécanisme, c’est une grande réussite.
Par ses propres moyens
Des psychologues français ont amené la notion de «pseudo-résilience». Elle désigne les personnes qui, en réaction à leur souffrance, ont pu mettre en place une apparente bonne adaptation sociale mais qui restent fragiles à la base. La résistance est bâtie sur du sable, en quelque sorte. Serge tisseron, psychiatre et psychanalyste, invite à se méfier des classifications faciles : «Ne risquons-nous pas», dit-il, «en parlant de pseudo-résilience de dévaloriser dangereusement certains sujets qui s’en sortent tant bien que mal avec les moyens dont ils disposent ?». En effet, explique- t-il, il y a dans ce terme de «pseudo-résilient » quelque chose de péjoratif, comme si certaines personnes étaient de «vrais» résilients et d’autres des «faux». Or, chacun fait ce qu’il peut avec qui il est et ce qu’il a vécu. Chacun s’en tire avec ses propres moyens. Personne ne peut juger de ces moyens.
Par ailleurs, le mot de «résilient» stigmatise une personne comme faisant partie d’un groupe à part. Comme s’il y avait les «résilients» et puis les autres, ceux qui craquent. D’abord, quelqu’un qui craque est tout aussi estimable que quelqu’un qui résiste. Et puis, la réalité est autre. Il n’y a pas une personne résiliente une fois pour toutes. Il y a tout simplement des processus pluriels de résilience qui sont présents en chacun de nous à des moments différents de la vie, et ces processus ne sont pas donnés une fois pour toutes. tout est toujours à renégocier lorsqu’il y a un deuil, un accident, une perte, un trauma grave. Soyons toujours prudents avec les mots, ils sont redoutables lorsqu’ils étiquettent…

Tu comptes pour moi
Pour un enfant qui souffre parce qu’il est mal aimé, voire pas aimé, ou même en butte à des formes de persécutions, le foyer ne représente pas un havre de sécurité, mais une menace. C’est à l’école, c’est dans les colonies de vacances, c’est à la plaine de jeux, bref c’est à l’extérieur que l’enfant souffrant va trouver des ressources. C’est l’autre, celui qui se trouve en dehors du premier cercle familial des parents, qui va lui donner la sensation intérieure de compter pour quelqu’un.
Que ce soit pour un enfant souffrant, ou pour un adulte souffrant, éprouver la sensation de compter un jour ou l’autre pour quelqu’un est essentiel. Ce «tu comptes pour moi», c’est dire «tu existes». tu existes, tel que tu es, avec ta blessure. Avec la maladie qui te cloue au lit. Avec ta vieillesse, que tu n’acceptes pas. Avec… Avec… On a tous une blessure, on a tous un «avec». tu existes pour moi tel que tu es. C’est un appel de la vie que les autres. Car qui dit «vie» dit «espace».
Mouvement toujours. La vie vient toujours de là où est l’espace. Et l’autre met de l’espace là où il n’y avait que soi.
L’autre, émissaire de la vie
La souffrance, et la douleur qui l’accompagne, bouchent tout. Plus rien ne circule, ou si faiblement, lorsque l’on souffre. Alors, la mémoire de ce quelque chose de mystérieux qui fait qu’à un certain moment dans nos vies, nous avons été nourris, peut devenir un socle et une espérance. Car si nous avons été nourris d’un sourire, d’un regard, d’une aide bienveillante, d’une attention, alors cela veut dire que l’autre existe pour nous et avec nous. Et que nous nous sommes ouverts à la vie.
L’autre peut être vécu comme un émissaire de la vie. La vie qui le traverse nous est donnée. L’énergie de la vie tout simplement. Cette vie qui s’incarne à travers les personnes que nous rencontrons, et avec qui nous sommes en relation, que ce soit ponctuellement ou dans la durée. Cette expérience est toujours quelque part «religieuse» dans le sens étymologique du terme, «religare», qui veut dire «relier». La vie nous relie.
Les chocs, pour que rien ne se fige
Durant notre existence, nous sommes bouleversés, mis sens-dessus-dessous, mis à l’envers. Certains davantage que d’autres. Ou différemment. Mais tous, nous souffrons, un jour ou l’autre. On ne veut pas, mais ça arrive. On voudrait mettre sa tête dans un sac et se cacher, mais cela ne sert à rien. Il faut traverser la chose. Il faut la vivre. On ne peut rien d’autre. C’est inévitable. Quand le mouvement s’amorce, nous sommes contraints de le vivre. Et le mouvement est sans cesse là.
Car le mouvement, c’est la vie. C’est pour cela qu’il y a des chocs. Pour que rien ne se fige. tout doit bouger. tout doit être oxygéné autrement. tout doit donc mourir. Souvent. Souvent pour que le mouvement revienne, pour que ça reparte d’une autre façon, dans une autre forme. La vie, qui veut le mouvement, bombarde les formes constituées et figées. Elle les fait éclater. Ces bombardements font mal ; ils font souffrir. Mais à un certain moment, il n’y a rien à faire : les formes closes doivent mourir… il faut que cela meure… pour repartir autrement et ailleurs. Nous devons nous attendre à cela, plus ou moins, souvent ou moins souvent. La souffrance a cette fonction.

Plus comme avant…
C’est une mort déjà que de souffrir puisqu’il nous faut abandonner quelque chose de nous. Quelque chose de constitutif de notre personne. Ce peut être une activité que nous exercions avec passion et qui donnait sens à notre existence. Ce peut être un idéal que nous voyons obsolète tout à coup, ou pire, que nous trahissons. Ce peut être une personne aimée qui meurt et qui nous est infiniment proche comme un enfant, un parent, un conjoint. Ce peut être notre capacité à agir, à penser, ou à sentir, car la grande maladie ne nous permet plus l’accès à tout ce qu’auparavant notre corps nous permettait. La souffrance nous oblige à laisser là l’idée que l’on se faisait de soi. Ce que nous étions, nous ne le sommes plus comme avant.
Oui, c’est une mort déjà que de souffrir. Et peut-être nous prépare-t-elle à celle qui nous enlèvera à notre corps. Quitter le corps, c’est quitter la matière. La matière ne peut pas croître indéfiniment. Le corps ne peut indéfiniment continuer à se développer. A un certain moment, la croissance est faite. Il faut décroître et mourir. Quitter ce corps auquel nous étions habitués. Ce corps extraordinaire qui permet de sentir, de ressentir, d’agir et de vivre sur cette terre qui, à son instar, est composée de matière. Et ce n’est pas une matière inerte. Bien au contraire, elle est «animée» car sans cesse en devenir. Ce devenir passe pas une nouvelle naissance. Et qui dit naissance dit contractions. Lorsque nous souffrons, nous sommes dans les contractions d’un nouvel état qui est en train d’advenir. Dans la souffrance, l’ancien état n’est pas encore quitté et le nouveau, pas encore advenu. Nous sommes alors tels des papillons encore enclos dans leur corps de chenille.
Départs…
Les souffrances sont comme des morts partielles. On ne peut plus agir aussi efficacement qu’auparavant lorsque l’on souffre. On ne peut plus agir efficacement dans une sphère particulière, qui est celle de la matière justement. On décroît dans son pouvoir extérieur. Car la souffrance prend beaucoup d’énergie et de place. Elle prend parfois même toute la place. Elle colle. Il n’y a pas de souffrance qui fasse l’économie du corps. Nous vivons avec notre chair. tout passe par elle, nos joies et nos souffrances. Lorsqu’il y a angoisse, ou maladie, le corps fait mal.
Oui, la souffrance nous prend toujours le corps. Elle se projette dans la zone cutanée et les muscles, notamment, comme l’ont si bien démontré les excellents travaux de Mézières, Bertherat, M.L. Labonté. Le corps se crispe. On ne peut plus agir en pleine possibilité de ses moyens. Il y a un malheur et une difficulté à accepter cette situation où notre pouvoir personnel d’action, de pensée et de jouissance est largement amoindri. A la souffrance se superpose la difficulté bien compréhensible de l’accepter. On a envie de la fuir afin de retrouver le plaisir de vivre d’antan. Nous ne désirons pas vivre dans la souffrance. D’ailleurs, la souffrance, lorsqu’elle atteint un certain palier, fait quitter le désir de vivre.

La souffrance prépare à un départ. Elle fait larguer des amarres qu’autrement on ne lâcherait sans doute pas. Nous sommes bien arrimés au connu, l’inconnu nous fait viscéralement peur.
Pourquoi, en effet, mourir si nous ne souffrions pas de vieillesse, d’usure, de maladie ? Il n’y aurait aucune raison de partir si nous n’en avions pas assez de vivre. Mais le corps souffre, «notre» corps nous lâche lorsque nous sommes malades. Nous décroissons dans la matière, ceci jusqu’à perdre de plus en plus de poids. La peau devient plus fine et transparente, l’armature de notre corps se dessine. Nous nous épurons, tout simplement. Jusqu’à être enfin prêts à tout lâcher. Plus rien ne fonctionne, il faut aller vers autre chose. Nous mourrons alors… Nous naissons alors… les contractions sont terminées...
Réponses
Chaque personne vit le nombre d’années qu’il a à vivre, ayant accompli, peu ou beaucoup, ce que sa nature le prédisposait à accomplir. Le temps de mourir vient quand la vie est terminée. Quand la pomme est mûre, elle tombe. Pour renaître, cependant. Mais il lui faut tomber. La souffrance aide à laisser tomber. Elle a ce sens-là, ultime. Entretemps, elle est un processus. Chaque souffrance nous fait sentir notre petitesse. L’ego surdimensionné, la prétention, l’outrecuidance, l’arrogance, la vanité sont réduits en poussière avec la souffrance. La grande souffrance nous met dans le vide. Et quand il y a le vide, il y a un appel immense à la vie. «Demandez et il vous sera donné», dit une phrase d’évangile. Oui, nous appelons, dans les moments de souffrance.
Nous appelons de tout notre être pour que quelque chose arrive et nous soulage. Quelque chose arrive toujours. Il y a toujours une réponse qui est apportée. une réponse qui ne vient pas de notre propre force, puisqu’il n’y en a plus lorsque l’on souffre, mais une réponse qui vient d’ailleurs. Des autres que nous rencontrons. Ou alors du plus intérieur en nous. C’est parfois une sensation de paix, fût-elle fugitive. C’est parfois une compréhension. Ou un lâcher prise. Ou l’intuition de ce qu’il faut faire et mettre en place. Aller voir tel médecin, faire telle démarche, téléphoner à tel ami ou tel parent avec qui on était fâché.

Passivité et action
En état de souffrance, il y a une passivité difficile à supporter. La souffrance a quelque chose à voir avec l’immobilisme. Il y a une immobilité obligée. La force de bouger n’est plus là. C’est l’immobilité qui prend le dessus, due au chagrin, à la dépression, à la maladie, au choc. un repli est nécessaire. un repos est indispensable. Une pause.
Quelque chose dans la souffrance rend impuissant. une des façons de résister est de redevenir ou de devenir acteur de sa vie. La sensation d’impuissance, l’écrasement qu’elle génère, reculent alors. Les malades à l’hôpital attestent de cela, ainsi que les personnes âgées dans une maison de repos. Participer au monde, prendre l’initiative, agir afin de s’en sortir, aide grandement. Agir, ne fût-ce que de façon minime, afin d’éprouver que tout ne s’effrite pas, qu’il y a encore, quelque part, la possibilité de contrôler sa vie quelque peu, dans un tout petit secteur, est une façon de combattre.
«Tâchez de fermer les yeux»…
Certains allégueront que c’est la nonrésistance à la souffrance qui la rend moindre. Certes. Le «oui» reste la clé royale d’une vie spirituelle au quotidien. Mais dire «oui» et accepter n’est pas synonyme d’inertie et de passivité. tant que l’on a besoin et envie d’agir, il faut essayer d’agir. Quand vient l’impossibilité et que le désir n’est plus là, alors le «oui» total peut advenir. L’abandon. Peut-être la confiance. C’est ce que l’on peut souhaiter de mieux, tel que le dit teilhard de Chardin dans une lettre écrite à quelqu’un de gravement malade : «Ne vous tendez pas contre la souffrance. Tâchez de fermer les yeux et de vous abandonner, comme à une grande énergie aimante… C’est sans doute encore trop tôt pour vous, pour vous relever : tâchez de «dormir», dormir de ce sommeil actif de la confiance, qui est celui de la graine, en hiver, dans les champs… C’est cela la grande prière des moments de grande maladie…»2.
Visible et invisible
Pour que la vie renaisse, pour que le neuf advienne, il faut laisser là l’ancien. C’est toujours la même loi simple à l’oeuvre. La vie continue sous une autre forme. Elle ne s’arrête pas avec la fin de la matière. Elle continue autrement. Elle remanie autrement la forme grossière en quelque chose d’invisible et de plus subtil. On peut ressentir cela. Que la vie a une face visible, ici. Mais que son autre face se joue dans l’invisible et nous meut. Croire cela, lorsque l’on souffre, c’est continuer à voir la lueur d’une étoile, une lueur très lointaine et faible, et vacillante, dans une nuit totalement noire. C’est précieux. Il y a un chemin, vers cette lueur dont nous ne savons plus rien, mais dont nous avons la mémoire.
Nous avons la mémoire des moments lumineux de notre vie. Des moments où nous avons reçu la possibilité d’être bon. Où nous avons reçu la possibilité d’être ouvert, comme la situation le demandait, car nous sentions ce qu’elle demandait. Où nous avons reçu la possibilité d’être avec l’autre, vraiment. Où nous avons reçu l’intuition de l’unité qui se manifeste notamment par l’empathie, la bienveillance, l’amour, la gratitude, la reconnaissance. Où nous avons été tout petits, déliés de ce qui nous entravait. Parfois seulement quelques minutes. Mais quelques minutes précieuses. Où nous avons été là, tout simplement. Ces momentslà, ces quelques moments d’âme, nous n’en sommes pas vraiment responsables. Nous les avons reçus. tout nous est donné pourvu qu’on le voie et le reçoive au bon moment. Mais tout nous est donné.
Ces moments, ces cadeaux, nous les avons engrangés dans notre mémoire. Pas que nous le voulions, mais cela s’est fait, même si nous sommes mal fichus, trop verbeux, ou trop taiseux, trop ceci, ou pas assez cela. Cela n’a pas d’importance. Nous avons reçu et nous avons donné à notre tour, selon nos capacités. La lumière a existé dans nos vies, malgré tout.
Et notre capacité à l’ouverture à cette lumière, nous nous en souvenons comme ce qui nous a été donné de vivre de plus précieux sur terre, puisque c’est là que nous avons été ouverts à la vie justement. Ouverts à la vie et à son mouvement, à sa circulation.

Le souvenir de la lumière est infiniment précieux dans les moments où l’on souffre. Car si la lumière a brillé, elle brillera à nouveau. Elle existe en amont, mais aussi en aval. Elle brille à jamais. Elle est là, devant nous…
Marie-Andrée Delhamende
1 N.Abraham, «L’écorce et le noyau», Editions Flammarion, 1978.
2 Teilhard de Chardin, «Sur la souffrance», Editions du seuil, 1974.
Livre : - Serge Tisseron, «La résilience», Que sais-je, PUF.
Paru dans l'Agenda Plus N° 221 de Octobre 2010