Se libérer des filiations familiales encombrantes…
Nul n’ignore que chaque famille crée et cultive sa propre culture familiale, avec ses codes, ses croyances, ses évidences, ses secrets, ses joies, ses peines, ses tabous. Mais toute cette culture dont chacun hérite (sans passage devant notaire) est-elle réellement ajustée à notre destinée et à nos choix ? Comment pourrions-nous discerner les beaux acquis à cultiver des vieux brols à recycler ?
Tout commence tôt
En accueillant un enfant dans une fa-mille, celui-ci arrive comme une nouvelle clé USB, c’est-à-dire vierge de tout enco-dage, hormis le bagage génétique. Et dès que le fœtus se forme et se développe, le petit d’homme en devenir débute son imprégnation sensorielle et émotionnelle au sein de la cellule familiale.
Beaucoup de nos contemporains sous-estiment l’hyper-sensibilité d’un fœtus et d’un bébé à naître ou juste né. Il est totalement connecté au vécu de la mère, au contact ou l’absence du père aussi, et il en va de même pour la fratrie. Quels sont les imprégnations « cultu-relles » ou « psychiques » qui peuvent imprimer un bébé ?
Enfant désiré ou accident de la vie ? En-fant conçu dans l’amour et la conscience ou enfant issu d’un acte d’intimité « tech-nique » ? La famille aime-t-elle la vie ? L’enfant vient-il combler un manque affectif ou la famille est-elle réellement dans le don ? La famille vit-elle un état de sécurité matérielle ? La famille va-t-elle accueillir le futur enfant juste conçu comme un Être spirituel ou sera-t-il accueilli juste comme un humain coupé de son Essence ? La famille a-t-elle pu cultiver un lien avec l’enfant pendant la grossesse ? La mère a-t-elle eu une gros-sesse épanouie ou il y a-t-il eu du cham-bard émotionnel et mental ? La liste pour-rait être bien plus longue. A peine né et le voilà déjà imprimé de tant de sensations …
Premier exemple
Par exemple, un enfant qui est attendu pour combler un manque dans une fa-mille va imprimer une forme d’attente impossible de ses parents (un enfant ne peut combler un manque affectif d’un adulte, c’est illogique et illusoire). D’où une filiation déjà embarrassante avec un programme psychique souvent incons-cient : chercher à combler ma mère ou mon père, donc lui plaire, donc chercher à le réparer. N’est-pas un programme fati-guant et incohérent qui peut vite épuiser ou inviter à des reproductions de sché-mas de l’amour peu porteur comme « je dois combler l’autre ? ». Qui a déjà rempli un vase troué sait que l’eau n’y reste pas. Voilà une filiation de dépendance qui peut prendre des proportions importantes car la dépendance affective va impacter les schémas relationnels, les schémas de couple. S’en libérer par certains outils thérapeutiques tels que les constella-tions familiales et systémiques ou des thérapies en psychogénéalogie ou en psychanalyse transgénérationnelle sera sans nul doute essentiel et libérateur.
Second exemple
Autre thématique qui va imprimer l’enfant : le rapport au travail. L’enfant grandit, en-tend, perçoit, capte, ressent ses parents par rapport au travail. Les parents vivent-ils un travail épanouissant ? En parlent-ils comme tel ? Le travail a-t-il une juste proportion dans la vie des parents ? Le travail amène-t-il une rémunération respectueuse de sa valeur ? En fonction de ce que l’enfant « imprime » par rapport au travail, il va inconsciem-ment attirer des situations semblables par la magie de la loi de l’attraction (la vie me donne ce que j’émane, pour faire simple).
Imaginons deux situations, une première où un enfant vit dans un environnement d’entreprise en restructuration mettant en péril la sécurité des parents, l’enfant va imprimer l’instabilité, le fait que ceci est « dû aux autres », qu’il n’a pas de prise sur la situation, etc. Il va imprimer que son « locus1 of control » est essentiellement externe. Filiation embarrassante. L’autre situation serait d’avoir un ou deux parents sous statut d’indépendant, parents épa-nouis, qui créent leur métier, s’ajustent aux évolutions du monde, sont rémunérés correctement. Filiation plus adéquate et « locus of control » plus internalisé.
1 En psychologie , le lieu de maîtrise, (de l'anglais locus of control) est un concept essentiel qui qualifie le rapport au monde, çàd comme « la tendance que les individus ont à considérer que les événements qui les affectent sont le résultat de leurs actions ou, au contraire, qu’ils sont le fait de facteurs externes sur lesquels ils n’ont que peu d’influence, par exemple la chance, le hasard, les autres, les institutions ou l’État ». Les personnes croyant que leur performance ou leur sort dépendent surtout d'eux-mêmes ont un lieu de maîtrise dit « interne » ; celles persuadées du contraire (c'est-à-dire que l'issue est avant tout déterminée par des facteurs extérieurs, hors de leur influence) ont un lieu de maîtrise « externe ».
Les champs des filiations
Les enfants vont ainsi être « teintés » de toutes sortes de thématiques : Du rapport au corps, à la sexualité, à l’alimentation, à tous les plaisirs de la vie, au rapport avec la nature, l’argent, l’esprit d’entreprise, l’inconnu, le rapport avec l’Amour, avec les femmes, les hommes, les fêtes, les saisons, les voyages, avec l’altérité, les autres cultures, etc. Bref, tous les pans de notre psychisme en seront marqués.
Comment s’imprime une filiation ?
Mais pourquoi ces filiations sont-elles si embarrassantes ? Parce que dans la petite enfance, de la conception jusqu’à 6-7 ans, l’enfant forme ses chakras et chaque chakra va être « distorsionné » par les filiations embarrassantes sous forme d’un micro-résumé de ce qu’il aura capté. Exemple : si une famille a de l’anxiété pendant les voyages, l’enfant va imprimer « voyage = source de stress ». Et si c’est un enfant qui a dans sa destinée et ses désirs de beaucoup voyager, cela va le perturber constamment sans libé-ration de cette filiation embarrassante. Les chakras de l’enfant vont, chacun avec leur spécificité, imprimer que les voyages, l’aventure, sont source de stress. Et modifier ceci demande un sacré travail.
La catégorie la plus délicate
Une catégorie de filiations compliquées est celle qui concerne des dépendances affectives car, dans notre civilisation, nous avons développé une propension à de multiples dépendances. Dépendances affectives : besoin de plaire, éloge du jeunisme, culture des co-dépen-dances dans certains micros systèmes humains, besoin de correspondre aux attentes d’autrui, etc. C’est très commun et très répandu.
C’est sans doute la catégorie la plus com-pliquée car la plus douce des drogues n’est-elle pas l’amour et la reconnais-sance des autres ? La cellule familiale constitue un peu un « clan », avec ses codes, avec ses règles. Il est parfois diffi-cile d’oser déplaire à sa famille, d’assumer des choix différents. Assumer d’avoir une grande famille ou au contraire de vivre seul, assumer d’avoir un rapport différent avec l’argent, assumer ses engagements politiques ou philosophiques, assumer de vivre sans « poire pour la soif » ou de vivre autrement, avec d’autres valeurs, avec d’autres points de repères que ceux de père et mère.
La reconnaissance des autres et leur amour tout aussi gratifiant sont très doux à recevoir. Mais c’est une nourriture ex-terne. Et cette nourriture ne sera jamais aussi nourrissante que celle qui vient de notre être, de notre intériorité, par le fait d’être dans sa voie, d’être aligné à ses choix de vie, d’être dans le don, dans la joie de partager nos talents au monde.
La nourriture intérieure
Être si ajusté à Soi-même nous rend tel-lement vivant de l’intérieur que la nourri-ture extérieure comme l’amour des autres et leur reconnaissance ne nous sont plus indispensables, et donc c’est un chemin vers la libération de la dépendance affec-tive vers autrui. L’amour des autres, leur reconnaissance, leur gratitude sont des cadeaux mais plus une dépendance, plus une nécessité.
Nombre d’ouvrages et d’enseignants parlent d’amour inconditionnel. Cela paraît magnifique, mais ce travail est, en fait, immense pour y parvenir.
Amour (in)conditionnel ?
Par exemple, peu de parents – et c’est juste une observation sans jugement – ont déjà suffisamment d’élévation de cœur pour aimer leurs enfants incondi-tionnellement, c’est-à-dire peu importe leur choix. Aimer inconditionnellement un enfant, un conjoint serait « Je t’aime même si tes choix me déplaisent. » Pas si simple ce mode d’amour et de rela-tion familiale. Je t’aime même si tu fais d’autres études, si tu n’en fais pas ou si tu en fais beaucoup. Je t’aime quel que soit ton orientation sexuelle, quelle que soit ta façon d’être au monde. Cela demande un sacré travail de respect de la liberté de l’autre, de ses choix, d’aimer l’« Être » plutôt que son « faire ».
Notre culture, habituellement, préfère « je t’aime parce que ce que j’aime chez toi est aussi ce que j’aime ». Inconsciem-ment, ce schéma maintient l’autre dans la même typologie que celui qui aime et le prie de rester dans sa norme, dans sa conception de l’engagement, de l’amour, et crée le mécanisme de la filiation en-combrante. J’ai une attente que tu fasses plus ou moins comme moi. Je peux bien tolérer quelques ajustements, mais pas de modifications profondes. C’est un peu le principe de la photocopieuse.
Les schémas d’amour plus « conditionnés » nous contractent, limitent quelques fois notre liberté intérieure, consciemment ou inconsciemment. Être libre, c’est davan-tage dans son être qu’en voyageant à 8000 km. Bien que souvent, paradoxalement, c’est par les voyages que l’on recontacte notre aspiration à notre liberté intérieure, en expérimentant une vraie liberté ainsi qu’une confrontation avec les schémas des autres cultures nous permettant de réajuster notre relation à notre propre culture.
Comment les repérer ?
Dans ce « créneau », il serait intéressant de repérer nos aspirations profondes dont on sait qu’elles pourraient déplaire à nos parents. Quid d’une destinée de quelqu’un qui va brasser beaucoup d’argent en étant issu d’un milieu humble ? Ou l’inverse ? Il y en a probablement des dizaines chez chacun d’entre nous, la plupart du temps inconscientes d’ailleurs.
C’est un beau travail intense et profondé-ment libérateur pour retrouver une vraie liberté intérieure dans nos actions, nos pensées, nos schémas de vie. Les rechercher par catégorie donne-ra sans doute de meilleurs résultats : quelles sont mes filiations embarras-santes qui peuvent s’éclairer grâce aux constellations familiales avec :
• Le modèle de famille (vivre avec beau-coup ou peu d’enfants, vivre seul ou ma-rié, divorcé ou pas, etc)
• Le rapport avec l’argent au sens large, et avec les avoirs et leur gestion (le patrimoine)
• La conception du couple, le regard que je pose sur les hommes, sur les femmes,
• Le rapport au travail
• Le rapport à la dimension spirituelle, à ma liberté de vivre selon ma conception,
• Le rapport à mon corps
• La relation au temps, comment je le gère, qu’est-ce que je peux me per-mettre, à quelle époque, etc.
• Et tant d’autres sans nul doute !
D’autres formes de dépendances
Dépendances à des situations sociales : titres d’études, statut social, réseau social, etc. Assez courantes aussi sont les filiations au « statut social » que ce soit de dispo-ser d’un titre d’études (ex : il faut un master universitaire) ou d’arriver à une cer-taine hiérarchie dans une organisation, ou d’avoir une certaine notoriété. Il peut y avoir en nous une attente de la géné-ration précédente que l’on fasse mieux qu’elle, ou moins bien par jalousie, ou de conserver une forme de standing, etc. C’est assez passionnant tout ce qui se joue avec cette notion de statut social au sens élargi du terme.
Nombre d’enfants de « people » té-moignent d’ailleurs que ce n’est pas simple pour eux. Comparaison, pressions sociales, etc.
Filiations « traumas »
Autres types de filiations embarras-santes, ce sont les schémas « traumas » d’une génération à l’autre. Prenons l’exemple à la génération X, où un parent (Paul) a expérimenté d’être gra-vement arnaqué par un tiers et a perdu presque tous ses avoirs. Si Paul n’a pas guéri ce traumatisme de trahison, il va inéluctablement engager des méca-nismes d’hyper-contrôle, ayant perdu la confiance.
Génération X+1, Sophie, fille de Paul, grandit avec ce père qui, forcément va trans-mettre son besoin de prudence, sa minutie d’analyse des contrats, souvent dans ce cas jusqu’à être un peu excessif, et de ce fait « refiler » sa peur des arnaques à la génération suivante, c’est-à-dire à Sophie, qui elle, un jour, se demandera bien pourquoi elle transporte cette crainte dans les contrats, les successions, l’argent. Crainte excessive qui pourrait bien étouffer un peu ses envies d’associations, d’entreprise, de coopérations. Crainte qui va étouffer un peu son envie d’être légère avec l’argent.
Voir les repas de famille autrement
Aux prochains repas de famille, essayons d’écouter, avec un jour nouveau, les anecdotes de la génération précédente, les histoires de vie, les grandes joies et les grandes peines, et voir si certains évène-ments résonnent encore en nous. Notre Être aspire à la légèreté et les fi-liations familiales embarrassantes sont souvent un peu lourdes à porter. Elles se cachent dans certaines de nos peurs, dans certaines de nos intolérances, dans certains de nos comportements automatiques.
Ces filiations ont eu un rôle à jouer, pour faire survivre un système, une famille, mais n’ont plus leur raison d’être. Ce sont comme des vieux meubles qui encombrent nos greniers. Accueillons-les, reconnaissons-les, remercions-les d’avoir eu leur temps, leur époque, puis… lâchons-les !
Pour transformer les filiations plus résistantes
Pour se libérer de certaines filiations embarrassantes, quelques prises de conscience sont suffisantes, accompa-gnées de leur inéluctable changement de comportement. Pour d’autres, ancrées plus profondément en nous, nul doute qu’un pro-cessus de thérapie sera nécessaire pour les déloger et les transformer plus rapidement par des protocoles adaptés.
Certains outils thérapeutiques sont spé-cifiquement ajustés à conscientiser et alléger ces filiations embarrassantes, relevons (mais ce n’est pas exhaustif) : les constellations familiales et systémiques, les thérapies en psychogénéalogie, les thérapies familiales, la psychanalyse transgénérationnelle ou encore le décrip-tage des croyances.
Et pour remercier des bonnes choses
Le même travail pourrait être aussi en-trepris pour les filiations familiales por-teuses, et semer la gratitude. Si ma mère m’a enseigné la patience, quel cadeau dans la vie ! Si mon père m’a transmis l’esprit d’entreprise ou la tolérance ou la reconnaissance de mes qualités, quelle chance !
Mais suis-je conscient de ces cadeaux ? Suis-je dans la gratitude ? Voilà des oc-casions de cuisiner pour amener le des-sert lors des prochains repas familiaux et de quoi s’offrir de belles cartes avec des mots de gratitude lors des prochaines rencontres, fêtes ou occasions.
Raphaël Dugailliez
Paru dans l'Agenda Plus N° de