La puissance de la gratitude
M-E-R-C-I : cinq lettres simples qui, assemblées, sèment une belle énergie dans les relations humaines et dans notre relation à la Vie !
Qui n’aime pas recevoir un merci pour un ser-vice rendu, pour une aide offerte, pour une écoute donnée, pour un soutien témoigné, pour une prestation effectuée ? Nous aimons recevoir des remerciements, car le mot « merci » est doux et agréable à entendre quand il vient du cœur. Il met de l’huile dans les rouages humains, il touche notre être au-tant quand nous donnons que lorsque nous recevons. Il est une caresse en réponse à ce que nous donnons.
Remercier comporte plusieurs dimensions :
Remercier, c’est d’abord reconnaître que l’autre, la vie, la nature a « produit » quelque chose qui m’importe. A notre époque, reconnaître, c’est vital, reconnaître, c’est accueillir que l’autre existe, qu’il(elle) a réalisé un travail, une démarche, qu’il(elle) a offert quelque chose, qu’il (elle) est sorti(e) de sa zone de confort pour donner, qu’il (elle) rayonne une qualité d’être qui vous importe.
Dans la sphère des relations professionnelles et familiales, combien de fois pouvons-nous simplement remercier ? Trop peu souvent. Nombres d’enquêtes sur la satisfaction au travail le confirme, le climat de gratitude sin-cère n’est pas encore suffisamment présent dans les organisations. Et même s’il y a des « bonus » financiers dans certaines fonc-tions, ce n’est pas pour cela que la réelle gratitude existe car la gratitude peut être parfois « fonctionnelle » et perdre de sa noblesse.
A contrario, on peut remercier par acclama-tions des artistes à l’issue d’un concert pen-dant dix minutes mais pouvons-nous remer-cier un policier d’avoir contribué à maintenir l’ordre, un enseignant d’avoir encouragé un enfant ? Est-ce cohérent ? Mettons-nous la gratitude dans nos réelles priorités de vie ?
Remercier, c’est ensuite conscientiser la valeur de ce qui a été offert, l’effort fourni, la complexité du vivant, le chemin parcouru, etc. Remercier, c’est aussi conscientiser ce que nous recevons dans les petites choses du quotidien comme dans les moments d’ex-ception. Remercier, c’est aussi conscientiser les hasards qui sont des magnifiques syn-chronicités dont la vie a le secret.
Remercier, c’est gratifier la relation qui m’unit à la personne (une personne ou Dame Nature ou Madame la Vie) qui m’a offert quelque chose, qui me présente une opportunité. Car donner c’est s’engager, c’est prendre des risques, cela nécessite un effort, un élan, une générosité.
Remercier, c’est enfin une invitation à donner, car si cela me permet de savourer le plaisir de recevoir, par « translation relationnelle », n’est-ce pas une invitation à donner, à rendre à la vie ce qui nous a été donné et même à donner plus que ce que nous n’avons reçu ? Puis donner sans calculer, donner sans compter ? Le vrai bonheur ne vient-il pas du don ?
Remercier, c’est rendre grâce. A un niveau encore plus profond, la gratitude est une énergie qui nourrit l’âme. Remercier n’est plus simplement de la politesse mais une façon de « rendre grâce », de vivre dans un état d’esprit de communion avec les cadeaux de la vie. La gratitude, au final, cette énergie qui nourrit l’âme….
La gratitude, c’est une disposition d’esprit
Conscientiser ce qui m’est offert, savoir remercier, n’est-ce pas avant tout une dis-position d’esprit ? Si je sais remercier, c’est que je suis conscient que je reçois, que je suis vivant, que j’échange avec la Vie. Savoir remercier, c’est vivre avec une paire de lu-nettes roses que je peux mettre devant mes yeux pour regarder la vie autrement.
Cela nous demande de conscientiser que tout n’est pas évident ni naturel, cela nous demande de nous décentrer pour com-prendre que certaines choses simples sont complexes à mettre en œuvre. Pour que l’eau coule dans ma douche, des centaines de personnes travaillent dans l’ombre chaque jour. En suis-je conscient quand je paie ma facture d’eau ?
Car tout dans la vie nous est donné. La vie, un corps, des expériences, des rencontres, de la nourriture, de l’eau, de l’air, de l’énergie, un toit, de l’argent, etc. Même si tout dans la vie ne nous est pas agréable, toute expérience me permet de grandir, de tirer des leçons, de me fortifier, de comprendre, d’apprendre, de m’enrichir. Apprendre à remercier des expé-riences douloureuses n’est-il pas aussi un cap à passer ?
Simplement matériellement, si je me balade en ville, puis-je conscientiser les millions d’heures de travail - dont le résultat m’est offert en me baladant - pour créer cette ville durant les centaines d’années qui m’ont précédé ? Certains ont donné leur vie pour construire un pont ou une université, pour planter un arboretum ou pour construire un réseau d’eaux usées et juste là, j’en profite, cadeau ! D’autres ont construit patiemment un système judiciaire, un système de soins de santé, des réseaux de commerces, des pratiques culturelles qui me sont offertes.
Devenir fluide avec la vie
Si je peux apprendre à remercier ce qui se présente dans la vie, alors je vis moins de frustrations, je me fatigue moins dans di-verses luttes intérieures. Porté par une meil-leure énergie vitale, mes colères apaisées, j’attire à moi par la loi de l’attraction des si-tuations plus légères, plus gratifiantes à mon tour. La légèreté attire la légèreté.
Remercier avec l’argent, mais est-ce suffisant ?
Que j’achète des œufs à mon voisin ou que je rémunère un thérapeute pour sa séance, l’argent est déjà un témoignage d’échange et de remerciement. En nourrissant ses poules ou en me consacrant une heure, mon argent offert vient ainsi témoigner d’une forme de gratitude. Mais est-ce suffisant ?
Dans ce monde où de plus en plus de transac-tions sont échangées avec de l’argent, sans merci ou juste avec un merci de politesse, l’économie nous semble de plus en plus froide, fonctionnelle. Sommes-nous faits de marbre pour oublier de remercier la caissière avec des mots sincères et légers, le marai-cher du marché, le garagiste ou l’accom-pagnateur de train ? Conscientisons-nous que les croissants du dimanche matin sont le fruit du travail nocturne du boulanger ? Qu’il accepte de perturber son cycle de som-meil et sa santé pour nous honorer ?
Mais est-ce suffisant ? Si vous êtes commer-çant, fonctionnaire, agriculteur ou infirmier, n’est-il pas aussi agréable d’accueillir un merci sincère ? Cela réchauffe l’énergie de la transaction, réchauffe l’énergie de l’argent, cela l’humanise. Et une petite façon symbo-lique de réchauffer cette énergie d’argent qui paraît si froide à tant d’humains est d’arron-dir le paiement, en laissant quelques cents ou euros, à la personne qui a presté quelque chose pour vous. Toutefois quand le cadre ne le permet pas, auprès d’un fonctionnaire pour qui cela s’apparenterait à de la corrup-tion, pourquoi ne pas offrir une orchidée à certaines occasions ?
Remercier tout le monde
Parmi les professions qui expérimentent sin-gulièrement l’ingratitude, on trouve nombre de métiers peu qualifiés ou mal considérés, parfois on qualifie ces professions de « petits métiers », à tort. Les aides ménagères, les technicien(ne)s de surface, les infirmier(e) s, certain(e)s ouvrier(e)s, certain(e)s secré-taires, …
Beaucoup de ces métiers se sentent insuf-fisamment remerciés pour le travail accom-pli et parfois il comporte avec évidence des aspects ingrats, et cela se comprend. Leur travail est régulier, discret, dans l’ombre, et pourtant qu’ils(elles) fassent grève une journée et notre monde coince.
Pouvons-nous développer une réelle consi-dération et gratitude tant des personnes que de leur travail ?
Remercier pour ce qui n’a pas de prix
La vie nous offre aussi des choses qui n’ont pas de prix. J’ai rencontré un/une partenaire d’exception, avec qui je vis une très belle re-lation. Cela ne s’achète pas. Comment pour-rais-je remercier la vie ? J’ai la chance d’avoir pu faire des études et d’être entré(e) dans une filière professionnelle qui m’épanouit et me rémunère notablement. Comment pour-rais-je remercier la vie ?
J’ai la chance d’avoir la santé, d’être en forme, comment pourrais-je remercier la vie ? J’ai la chance de vivre en Occident avec tout le confort, comment pourrais-je remercier la vie ? J’ai la chance de vivre dans un pays en paix, avec un patrimoine bâti et immatériel exceptionnel, des villes existantes, une na-ture belle et fragile.
Effectivement, la liste des choses que nous avons reçue et qui n’ont pas de prix est bien plus longue que notre « petit moi » le pense au premier abord. Pour remercier d’avoir reçu toutes ces choses qui n’ont pas de prix, il existe plu-sieurs pistes… non exhaustives car chacun sèmera la gratitude selon sa singularité.
Exemple de remerciement d’un cadeau à la vie : j’ai reçu des enfants en pleine forme et santé, alors je peux en retour soutenir une ONG qui s’occupe d’enfants à l’autre bout du monde, pour aider des enfants qui ont moins de chance que les miens.
Pour remercier de vivre dans un pays où l’énergie et l’électricité sont abondantes, je peux remercier la vie en faisant l’effort d’isoler ma maison même si cela n’est pas immédia-tement rentable ou soutenir des ONG qui dé-veloppent des fours solaires dans des pays où cuire est indispensable et le soleil abondant. Il existe mille façons de remercier la vie pour ce qui n’a pas de prix, à chacun de déployer sa créativité, d’y mettre du cœur et du sens.
Faire un « gros cadeau » à la vie permet aussi parfois de se solder d’une dette à la vie, pour se libérer d’une erreur du passé. Exemple, j’ai fauché un chien sur la route par distraction alors que j’écrivais un SMS en conduisant, ma distraction a emporté une vie, des liens entre ce chien et d’autres humains, de la souf-france du vivant. Je ne peux racheter la vie du chien. Mais je peux offrir un cadeau comme soutenir un refuge animalier, en donnant de l’argent ou en allant promener et nettoyer des espaces pour chiens, par exemple.
Remercier à la fin d’une histoire affective ?
En cette époque où les histoires affectives sont plus nombreuses et courtes qu’avant, nous est-il possible de remercier l’autre pour les beaux moments partagés, lors de la phase de séparation ? L’autre a donné, l’autre a investi, l’autre nous a appris sur nous, sur l’Amour, sur nos schémas, l’autre est venu déposer son monde dans notre intimité. Cela ne mériterait-il pas un remerciement de fin de cycle ?
Ecrire un poème, dessiner une œuvre d’art « maison », écrire une lettre, composer une chanson, réécrire les paroles d’une chanson, sont autant de façons parmi mille autres à inventer pour remercier symboliquement l’autre pour les beaux moments, pour la ten-dresse, l’amour, la joie, les explorations, les prises de conscience. Offrir des fleurs en plein élan d’amour nous vient aisément. Mais pourrions-nous imaginer offrir un beau bou-quet de fleurs lors d’une séparation ?
Ce serait en tous cas un bel apprentissage à transmettre à nos enfants, à nos adoles-cents, pour associer la séparation à la gra-titude plutôt qu’associer la séparation juste aux reproches et aux manques.
Remercier pour clôturer un cycle ?
Il en va de même pour des cycles dans nos engagements professionnels, associatifs. Pourrions-nous remercier nos collègues, nos partenaires, nos associés lors de nos « mutations » (changement de poste, obten-tion d’une promotion, fin d’un mandat, etc.) ? Il est de coutume d’offrir un verre au départ, mais pouvons-nous investir et personnaliser davantage ? Accompagner le verbe avec un geste ou un cadeau ? Déployer davantage nos mots pour saluer la richesse de telles qualités d’échange durant ces phases de vie ? Car chaque période partagée renforce notre capital « expérience » qui est sans doute un des plus vitaux dans la vie. Muni de ce capi-tal d’expériences, je suis à même d’être plus à l’aise pour faire face à de nouveaux challenges.
Remercier la Nature
Dame Nature elle aussi ne mérite-t-elle pas nos remerciements ? Elle purifie notre air et notre pollution tout en produisant du bois dans les forêts, purifie l’eau dans le sol et hydrate nos paysages en irriguant le vivant, illumine nos journées autant que la photo-synthèse, fait vivre des millions d’animaux, de bactéries dans chaque parcelle de nature, de la plus petite à la plus immense.
Remercier, c’est nourrir la relation qui nous unit au vivant, dans toutes ses formes, c’est conscientiser notre intrication dans la sys-témique de la vie, accueillir nos interdépen-dances, saluer la Vie qui pulse dans tout.
Célébrer originalement la gratitude pour les fêtes
Une façon de célébrer nos proches pour les fêtes ne serait-il pas d’accompagner chaque cadeau d’un petit mot qui salue une qualité d’être de la personne choyée ? De la remer-cier pour un bon moment de l’année, pour sa présence ou pour avoir passé un cap ?
Et aussi de remercier la vie par un cadeau désintéressé à une association ? Que ce soit offrir une paire d’heures ou quelques dizaines d’euros, personne ne peut contester que les petits ruisseaux forment les grandes rivières.
Rappelons que la métacommunication est une pratique de communication qui renvoie à toute chose qui contextualise un message et aide, de ce fait, à la compréhension d'une situation de communication. La métacom-munication peut être relationnelle, en ce qu'elle donne de l'information sur une rela-tion qui s'étend dans la durée.
Remercier, c’est donc bien « métacommuni-quer ». Remercier élève le raffinement d’un échange. Cela insuffle du positif, instaure davantage de sécurité et de confiance entre les partenaires de l’échange, cela permet aux protagonistes d’entrer dans un niveau plus authentique de relation. Or, cette dimension n'est-elle pas essentielle pour nourrir la pro-fondeur et l’authenticité des échanges ?
Quitter nos automatismes et la froideur de la logique rationnelle
Lorsque nous oublions d’être dans la gra-titude, nous retombons dans la rationalité froide de la vie qui nous assèche de l’inté-rieur. Notre niveau de conscience des rela-tions et du processus de la vie retombe à une espèce de logique où c’est évident que nous recevrons toujours, que « y’a qu’à », qu’on reçoit parce que l’on paie.
Cette froideur qui peut s’installer en nous-mêmes participe pourtant à la dynamique de la souffrance au travail (qui ne souffre pas du manque de reconnaissance ?), à l’implémen-tation des spirales du burn-out en recrudes-cence, à une forme d’aigreur collective sous forme de déprime d’une vie trop grise.
Prenons une douche froide un matin et nous serons bien davantage dans la gratitude de prendre des douches chaudes le reste de la semaine.
Du devoir des cadeaux au pouvoir des cadeaux
Décembre est le théâtre d’une course aux ca-deaux. Le marketing ambiant va nous y pous-ser par mille façons jusqu’à exercer une sorte de dégoût par la force de cette injonction à acheter à tout prix et à combler nos proches. Aspirés par cette spirale de l’inconscient collectif, nous en venons à stresser car nous « devons » faire des cadeaux.
Pourrions-nous accueillir décembre et ses fêtes – en tant que fin de cycle - comme une invitation à remercier ceux que l’on aime et la Vie elle-même pour l’année écoulée et prendre un temps pour remercier ses proches, ses collègues, sa famille, ses amis, la Vie ?
Et puis on peut sortir de nos habitudes, en prenant du temps pour remercier des gens de façon originale, comme par exemple :
• Aller s’occuper d’un(e) aîné(e) qui n’a plus trop la santé pendant que vous, vous l’avez ;
• Ecrire un mail/carte postale à son anima-teur radio préféré pour le remercier de telle émission, même si vous ne le connaissez pas ;
• Créer un mandala avec des éléments de la nature, pour rendre grâce à celle-ci ;
• Ecrire une carte postale à un programma-teur de spectacles pour la belle pièce pro-grammée qui vous a ravi (e) ;
• Cuisiner ou apporter un gâteau pour fêter un projet accompli au bureau ou pour re-mercier la personne qui collecte vos sacs poubelles ;
• Ecrire une carte postale de bons vœux à son facteur ;
• Emmener son aide-ménagère en excursion pour saluer ses cinq années de prestations chez vous ;
• Inviter quelqu’un qu’on ne connaît pas, qui est seul à sa table autour de Noël ;
• Et toutes les idées magiques que vous avez et que nous serions ravis de lire par mail à raphael@etreplus.be comme des témoignages à faire circuler pour d’autres articles.
Soyons créatifs, la Vie est si courte. Tout ce qui n’est pas donné n’est-il pas perdu ? Que la gratitude emplisse le temps des fêtes et colore nos vies comme le font les illuminations de Noël.
Raphaël Dugailliez
Paru dans l'Agenda Plus N° 303 de Décembre 2018