La convalescence, un chemin …
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La convalescence, un chemin …



La convalescence, étape importante de la guérison, c’est se connaître à nouveau. Avec de nouvelles données. En cela, c’est un chemin …



Peu de personnes échappent, durant leur vie, à l’un ou l’autre problème de santé. En effet, l’organisme, corps et psyché, est soumis, de l’aube au couchant de la vie, à de multiples épreuves. Anodines ou graves. Cela va du rhume au zona, de l’indigestion au cancer, de la perte d’audition au kyste bénin. Durant la maladie, le corps, allié fidèle, ne joue plus le jeu. Voilà la personne malade, alitée, tremblante, démunie, douloureuse, dépendante. La voilà dépossédée de sa puissance d’action et limitée dans sa faculté de penser.
Quelque chose ne va plus, quelque chose se dérègle, quelque chose dit : « je ne peux plus ». Sans doute l’organisme dit-il ce que l’on sait intuitivement et que, sans doute, on n’écoute pas suffisamment. Il nous dit d’arrêter. Arrêter de courir, de se stresser, de se faire du souci, de ruminer. Avec la maladie, il n’y a pas le choix : il faut s’arrêter. Il faut se soigner. Il faut reprendre pied. Il faut faire une pause. Une pause où l’on se dépose et c’est ce que permet fondamentalement la convalescence : elle permet de se repositionner.

Être un peu doux avec soi-même
La convalescence est une étape importante de la guérison. Elle suppose un temps. Temps court ou très long, eu égard à la gravité de la maladie. Mais temps ... et donc processus. Le mot « processus » est parlant. Il vient du latin pro, « vers l’avant » et de « aller » : on va « vers l’avant », on « avance ». La convalescence s’inscrit donc dans un mouvement. Un chemin qui se trace. On y adhère. On chemine avec soi-même, pour se donner le temps d’un retour progressif à l’état de santé qui se dessine au cours de ce processus.

Passage et transition
Car il s’agit bel et bien de ne plus être tendu vers l’avant, mais de s’apaiser. La maladie opère une rupture avec les habitudes, avec les croyances, voire avec les valeurs, et la convalescence sert, entre autres, à intégrer ce qui ressort de cette rupture, ce qu’on y a appris. Il est nécessaire d’être enfin un peu doux avec soi-même. De laisser pleurer. De panser le psychisme et de panser le corps. De les penser aussi.
Parfois, il est à noter qu’on fait juste l’inverse. On brusque les choses et l’on se brusque. On se presse, on veut, on lutte. Or, il s’agit parfois de ne plus se presser et de ne pas lutter. La convalescence, c’est cheminer vers. C’est aller à son rythme vers,… Ceci dit, chaque personne a un rythme qui lui est propre. Certains ont un rythme rapide et se doivent d’agir, même durant le temps de la convalescence. Le tout est de trouver la juste place, la juste action, le juste rythme pour soi.

Du reste, il n’est pas sûr que ce soit toujours possible de faire une pause. La convalescence est un luxe. On ne nous la donne pas, du moins dans les structures professionnelles habituelles, vu le peu d’importance accordée aux transitions et à la notion de passage. Les passages ne sont pas rentables. Il y a trop de demi-teintes et de sensibilités à l’oeuvre. C’est pourtant là, dans ces creux, ces creux où l’on n’est pas rempli, où l’on ne se remplit pas, qu’il est parfois possible de faire une pause.

Se confier à soi-même
Lorsqu’une personne travaille dans un bureau ou en équipe, ou qu’elle a un statut d’indépendant, elle ne vit pas toujours bien son propre droit à la convalescence. Il se peut qu’elle ne s’autorise pas à prendre ce temps, il se peut aussi qu’elle ne parvienne pas à écouter ses besoins.
Or, il s’agit peut-être avant tout d’essayer d’être réellement présent à soi-même. Cette présence à soi-même, c’est se faire confiance, dans le sens premier du terme : c’est se confier à soi-même. Quand on se confie à soi-même, on parvient à s’unir à nouveau à ses besoins et on les reconnaît, on leur accorde la validité qu’ils méritent. Autrement dit, on n’est plus dissocié de soi.

De quoi ai-je besoin maintenant ?
Or, s’il est bien une donnée importante que permet la convalescence, c’est de redevenir une personne à part entière. C’est ce que préconisent les médecines holistiques, dites « non conventionnelles ». Celles-ci, de l’homéopathie à l’acupuncture, s’adressent à l’être humain dans sa globalité. Elles tiennent compte de la personne et ont le grand mérite de mettre en évidence l’interdépendance corps-esprit.
Lors de cette période importante qu’est la convalescence, cette interdépendance est particulièrement mise en relief. Il faut s’écouter finement, réellement, pour répondre à ses besoins. Et cela suppose de faire fi des a priori et des images que l’on a de soi-même. A priori le plus souvent constitués par le passé. Durant la convalescence, dans le temps de cette pause, seule la réalité du présent compte et non l’idée qu’on s’en fait. Qu’est-ce que je ressens aujourd’hui ?

Que se passe-t-il au présent dans mon corps ? De quoi ai-je besoin maintenant ? Voilà les vraies questions. De l’honnêteté des réponses apportées, de la liberté par rapport à des idées toutes faites sur soimême, de l’acceptation des nouvelles limites dépendra une convalescence où l’intégration des nouvelles données sera facilitée.
En effet, on peut éventuellement construire de nouveaux repères durant cette période. Nouveaux repères rythmiques dans le quotidien. Nouveaux repères physiques. Nouveaux repères relationnels. Nouveaux repères psychologiques. Et pour cette construction, il importe de détecter ses limites, de les apprivoiser et de les respecter.

Agir
Alain, 37 ans, éducateur, a commencé à « avoir mal au ventre », de plus en plus souvent. Alain buvait pas mal de vin aux repas et quasi chaque soir en compagnie de ses ami-es. Alain fumait aussi pas mal de « pétards » chaque semaine. Et un jour, la crise est arrivée, Alain a dû être hospitalisé d’urgence pour péritonite.
Alain s’est dit : « Ah, oui, je suis malade, c’est normal, je paie la note ». Cette pensée l’a aidé. Il y avait quelque chose de logique dans la survenue de cette crise. Et donc, il pouvait agir, comprendre ses limites, mettre en oeuvre de nouveaux repères puisqu’il était, en quelque sorte, responsable de son état. Il semble en effet plus facile de « corriger le tir » quand les causes apparentes du dérèglement sont repérables et que la personne peut s’en attribuer l’entière responsabilité et agir concrètement.

Nous ne contrôlons pas tout
Il est plus difficile, en revanche, d’accepter une maladie lorsque l’on mène une vie saine, composée de repas équilibrés et bio, d’activités physiques et de pensées positives, comme en témoigne Elodie, 48 ans : « J’ai toujours fait attention à ma santé, à mon hygiène de vie… et je suis atteinte d’un cancer ! Ce n’est pas juste ». Pour Elodie, la vie se devait donc d’être « juste », c’est ce qu’elle croyait. Et voilà que la vie n’est pas juste, voilà qu’elle emprunte des sentiers de traverse et qu’Elodie ne peut que constater qu’il lui faut suivre ces détours incontrôlables.
Jusqu’à un certain point, certaines personnes, comme Elodie, pensent qu’elles peuvent définir, voire contrôler, le flux puissant de la vie. Et que, puisqu’elles ont été de « bons » élèves, la vie doit se comporter de façon « chic » envers elles. Or, c’est un leurre.
Nous ne contrôlons pas tout et la maladie nous le rappelle. Comprendre cette évidence, l’accepter profondément et l’intégrer, est une des composantes majeures de la convalescence. On peut dire de la maladie qu’elle est un véritable maître car elle opère bien souvent une remise à zéro par rapport à ce qui est « connu ». La convalescence qui suit est indispensable pour que ce maître se mue parfois en « maître de sagesse » : elle permet la reconstruction progressive d’un équilibre et une lente régénération de certains niveaux.
Retrouver un équilibre ne signifie cependant pas qu’il faille nécessairement retrouver l’équilibre d’avant. Il s’agit plutôt d’accepter peu à peu -mais de façon absolue- la perte et les limites nouvelles si c’est le cas. Il s’agit de trouver un nouvel équilibre et de s’en trouver heureux.



Les fibres fines du cerveau et du coeur
Doit-on nécessairement associer le temps de la convalescence à une maladie ? C’est l’usage. Mais il y a aussi les « coups » de la vie dont il faut se remettre. Une rupture, un deuil d’enfant, un viol, le suicide d’un proche, une ruine, une agression, ont des effets aussi dévastateurs que les maladies les plus graves. Les chocs émotionnels violents mettent les personnes à l’arrêt intérieurement. Et il faut un temps, un temps où l’on se rebranche à soi-même, pour se remettre en mouvement.
C’est un temps parfois long qui peut se compter en semaines, en mois, voire en années dans certains traumas. Un trauma est pareil à un accident ; il touche à la profonde intériorité de la personne. Il touche aux fibres fines du cerveau et du coeur qui sont brusquement arrachées, saccagées par une immense torture intérieure. Il faut des soins et un temps de convalescence ou qui s’y apparente. Un temps semblable à celui que l’on prend, ou que l’on devrait prendre, après une maladie.

Soi ?
La présence à soi-même est au coeur de la convalescence. Mais c’est quoi, soi-même ? Est-ce l’ensemble des actions, des résultats, des capacités, des savoirs, des expressions qui permettent les relations aux autres, bref, est-ce tout ce que la santé permet ? La plupart des identités se construisent sur ces données. Elles sont importantes. Ne nous leurrons pas. Mais voilà : tout à coup, l’édifice se craquèle. La force, le pouvoir d’action et d’expression sont mis à mal. Et arrive alors parfois cette révélation étonnante : on se rend compte que le fait d’être fragile n’entame pas le « je ».
Il ne s’agit pas des caractéristiques de la personnalité, ni de ses composantes, mais de là où « je » se prononce. A la source. Que l’on ait 3, 7, 60 ou 100 ans, que l’on ait le corps jeune ou cabossé, quand on dit « je », c’est le même « je », identique de la naissance à la mort.
Et ce « je », à sa source, est inaltéré et sans doute inaltérable. Le temps de la convalescence, qui n’est plus un temps de maladie où la douleur peut voler la personne à la présence à elle-même, permet quelquefois de se déposer là, sans plus aucune attente, ni espoirs illusoires, ni tensions donc.
Cette source du « je » reste. C’est une merveille. Elle est là- en deçà et au-delà des données psychiques et physiques. On peut la ressentir si on y prête attention avec douceur et vigilance. Il suffit de cela. La ressentir alors qu’on est plus faible, plus fragile, plus fatigué qu’à l’ordinaire est une grande sécurité ; une sécurité sur laquelle s’appuyer pour être totalement collé à la réalité, quelle qu’elle soit.

Et ça, c’est peutêtre ce qu’on peut appeler « la guérison »…

Marie-Andrée Delhamende


REVIVRE APRÈS UNE MALADIE GRAVE




« Vous avez un cancer du sein », ces quelques mots ont bouleversé Marie-Anne à tout jamais, il y a de cela plusieurs années. Le long chemin de la maladie lui a quand même permis d’acquérir une nouvelle vision de la vie, une vie où chaque instant compte.

Cette femme blonde et dynamique plisse légèrement les yeux, elle se souvient : « Cette phrase a été prononcée dans un contexte difficile, mon mari venait tout juste de me quitter. » Son regard se perd dans le vide : « J’ai été prise directement en charge à l’Institut Bordet à Bruxelles. Le chirurgien m’a dit qu’il ne savait pas s’il allait pouvoir conserver mon sein. A mon réveil, dans ma chambre d’hôpital, il m’a dit qu’il avait été contraint de tout enlever car j’avais un cancer invasif avec des ganglions déjà atteints ». Elle marque un léger temps de pause, et d’un débit un peu plus rapide, elle ajoute : « Mais je savais que j’allais faire reconstruire ce sein. »
« Dans un premier temps, je me suis retrouvée seule, démolie psychologiquement par le père de mes enfants. Je me suis écroulée, je me suis demandé si j’allais mourir. » Un éclair vif traverse ses yeux bleus et le ton de sa voix se fait plus résolu : « Mais cette baisse de moral n’a pas duré longtemps ! J’ai dû tout prendre en charge toute seule. Je devais guérir pour être là pour mes deux petites filles sinon qu’allaient-elles devenir ? ». Emue, elle rajoute : « Elles m’ont boostées à 100% à ce moment-là. Je me suis dit que je devais gagner contre ce cancer. Mes deux filles étaient mon moteur ! ».
Marie-Anne a ensuite subi une chimiothérapie pendant sept mois : « J’ai eu ma dernière chimio à la Saint-Nicolas. On a bu une coupe de champagne pour fêter la fin du traitement et, à Noël, je suis même partie skier. »

Vers la régénération
Pendant les cinq ans de ma convalescence, je suis restée dans le doute mais j’ai pris la décision de continuer à vivre comme avant : « C’est moi qui décidais des activités que je voulais effectuer et non ma maladie ! Je ne me sentais pas plus malade qu’avant que l’on ait posé le diagnostic, alors pourquoi changer quelque chose ? »
Enseignante, Marie-Anne est retournée à l’école rapidement. Son visage s’assombrit: « Je ne me suis pas mise en pause. J’ai continué à travailler et à faire du sport. Quand on est occupé, on ne pense pas à ce que l’on vit. C’était important. Je ne voulais pas me sentir seule chez moi.» Ses proches étaient aussi là pour elle : « J’ai eu la chance d’être bien entourée par mes parents et mes amis. »



Au fil des mois, Marie-Anne a senti naître en elle une sorte de régénération ; sa maladie lui a permis de considérer la vie autrement, avec un regard novateur : « Je profite des petits moments simples et accessibles de la vie même si c’est vrai que l’on se laisse vite bouffer par les tracas du quotidien. Je me dis souvent que j’ai de la chance de faire ce que je fais. » Ses lèvres s’étirent en un sourire paisible : « Je sais profiter d’un bon repas de famille, admirer un décor, une jolie table, … »
Elle se tourne vers la baie vitrée qui s’ouvre sur le jardin verdoyant et se perd quelques instants dans ses pensées : « Une journée comme celle-ci est une belle journée : il y a du soleil. » Sa voix reste en suspens quelques secondes. D’un ton vibrant, elle explique : « Ma maladie m’a rendue plus vite émue par la nature qu’avant. Je peux me lever le matin et voir la beauté de cette nature. Je regarde les petits oiseaux qui viennent manger sur ma terrasse. J’admire le soleil qui se lève ou qui se couche. J’aime scruter la mer ou aller aux sports d’hiver pour me mettre devant les montagnes et les contempler simplement ».

« Vous ne mourrez pas du cancer que vous avez eu »
Petit à petit, au fil des années, l’intervalle entre ses rendez-vous médicaux à l’Institut Bordet s’est allongé : « Quand on espace les consultations, c’est qu’ils considèrent que l’on va mieux. » Et puis, un jour, les médecins ont évoqué la possible reconstruction de son sein : « Quand on m’a dit que je pouvais reconstruire mon sein, c’est une page qui s’est tournée pour moi. On sait que si les médecins nous proposent cela, c’est qu’ils considèrent que ça va aller, qu’ils sont dans le positif ! ». Et enfin, la bonne nouvelle est tombée. Marie-Anne, rayonnante, explique: « Au bout de la sixième année, on m’a dit que j’étais guérie et que je n’allais pas mourir du cancer que j’avais eu ! Quelle joie ! »
Reconnaissante, elle conclut d’une voix déterminée : « Depuis, j’ai rendez-vous à l’Institut Bordet tous les dix-huit mois avec mon chirurgien et son équipe. Je ne louperais ce rendez-vous pour rien au monde. J’ai le sentiment de leur être redevable de quelque chose. C’est une forme de respect que j’ai envers eux. Je leur dois la vie ! »

Laura Régaglia



Paru dans l'Agenda Plus N° 314 de Février 2020
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