Apprivoiser la mort
Dans nos sociétés, on ne
nous habitue pas à vivre
avec la mort en bon voisinage
et en bonne amitié.
La mort est occultée.
Et pourtant, il nous faut
l’intégrer tout au long
de notre existence pour
bien mourir. Il nous
faut faire ce travail.
Se préparer à mourir.
Mourir. Continuer la
route après…

Dans notre société, on est habitué à cacher la mort. Dans la grosse majorité des cas, elle a lieu à l’hôpital ou dans un lieu médicalisé. Là où elle ne dérange pas. Loin de nos regards. On la relègue loin de nous. Le deuil même, et tous les signes qui s’y rapportent, a été gommé de nos habitudes. On ne le porte plus. Et le chagrin se doit d’être discret. On enterre sa mère, son père, son enfant, son conjoint sans que ce ne soit marqué de signes forts.
Mortel, moi ??
La mort ne se porte pas bien chez nous. Il est devenu normal de faire comme si elle n’existait pas. Il est devenu normal de se comporter en jouisseur qui a tout le temps devant lui. Il est devenu normal de se comporter en personne qui ne va pas mourir. Pour la société de consommation dans laquelle nous baignons, il est nécessaire de reléguer la mort loin d’elle. Il est vrai que si les individus se rendaient compte qu’ils étaient mortels et vivaient en conséquence une vie plus simple et plus vraie, ce serait une perte d’argent très importante...
La mort est occultée. Or, nous ne sommes pas dupes. Nous savons bien que nous mourrons. Mais rien ne nous encourage à lui donner une place dans notre vie. Il n’en est pas de même dans certaines sociétés. Ainsi, chez les indiens d’Alaska, ceux qui ne meurent pas subitement se préparent tout simplement à mourir. Et tout le monde trouve cela très adéquat. On ne nie pas la mort. Au contraire, elle a sa place.
Un cadeau sans prix
Chez ces indiens, la personne qui va mourir passe sa dernière semaine et ses derniers jours à faire quelque chose pour accueillir la mort. Chacun selon sa personnalité. L’un s’entoure de tous ses proches, l’autre préfère choisir une seule personne, le troisième rencontre le prêtre. La majorité font leurs adieux, font des prières pour leurs proches, font célébrer un service religieux auquel ils participent. Le prêtre Trelease1 témoigne combien une bonne et belle préparation de sa propre mort est pour toute la famille et la communauté un cadeau sans prix. Et de raconter l’histoire de la vieille Sara qui avait, entre autres, préparé avec amour et grand soin l’achat de la nourriture pour le festin après l’enterrement.
Nous aurions avantage à nous inspirer de ces façons de faire. Car le fait de préparer sa propre mort exprime que l’on est dans une relative paix face à elle. Et quel soulagement pour les autres, ceux qui restent, de savoir que la personne qui meurt part en paix.
Nous ne mourrons pas à temps
Mais pour que cette préparation de sa propre mort ait lieu, il est d’abord nécessaire que la mort elle-même soit reconnue, notamment par le corps médical et par toute la société. Or, elle ne l’est pas. Nous ne mourrons pas à temps. Bien souvent, on nous oblige à durer, on nous met des perfusions, des tuyaux. On nous injecte des surdosages de médicaments, nous livrant alité à une existence végétative qui se prolonge alors que la fin est inéluctable. «Le malade ne meurt plus à son heure, mais à celle du médecin», dit très justement L.V. Thomas. C’est tout simplement indigne et abus de pouvoirs multiple. Normal : notre société dans son ensemble a peur de la finitude. Pourquoi favoriserait-elle l’accès facile à la mort alors qu’elle s’esquinte à rendre prioritaire la réalité matérielle - à laquelle elle sacrifie tout ?
Dans cette obligation de survie, nous n’avons pas de choix thérapeutique en fin de vie. Ou si peu. L’euthanasie est reconnue aux Pays-Bas depuis 1981 et reconnue en Belgique depuis 2002, mais sous de très strictes conditions qui ne vont pas dans le sens de l’euthanasie au sens étymologique du terme, du grec «thanasia», mort, et «eu», bien. Bien mourir. De façon générale, on ne nous laisse pas le droit de bien mourir, de mourir lorsque nous sommes psychiquement prêts.

Etre aidé lors de sa propre mort
On en revient à la notion de préparation de sa propre mort et aussi à l’aide que l’on peut recevoir lors de ce passage important. Les soins palliatifs ont été créés en 1967 à Londres et ont essaimé depuis dans bon nombre de pays. Dans les unités de soins palliatifs, outre la lutte contre la douleur physique, des personnes accompagnent, et souvent de façon remarquable, les personnes en fin de vie.
Puissent ces unités de soins palliatifs se généraliser dans chaque hôpital avec la qualité humaine qui les anime. Et puissions-nous, dans la période de notre mort, être aidés par d’autres avec respect et douceur. Bien sûr, on se sent toujours seul dans les expériences essentielles, et mourir en est une. Mais on peut aussi simultanément être relié par le coeur aux autres et leur soutien, s’il est altruiste et adéquat, est alors infiniment précieux.
Intégrer sa propre finitude
Car l’accompagnement des mourants est de tous temps une attitude humaine et spirituelle essentielle : «Il n’est pas de plus grande charité que d’aider quelqu’un à bien mourir» dit Rinpotché.
Les personnes en fin de vie témoignent : elles ont besoin d’une présence aimante.
La présence aimante et adéquate auprès d’un agonisant n’est pas à la portée de tout le monde. L’écoute empathique et la paix, le silence et la présence, ne pourront être effectifs que si la personne au chevet du mourant a déjà réfléchi, médité, accepté et intégré l’idée de sa propre finitude. Il nous appartient, du reste, à tous de faire ce travail d’acceptation qui nous aidera à mourir.
Maintenant, se préparer…
C’est durant notre vie, dès à présent, que nous nous préparons à mourir. Et ce n’est pas seulement une attitude mentale, c’est aussi une expérience. Dès que l’on perd un proche, pour la première fois, on meurt déjà un peu. La mort se taille une place dans notre vie parce que nous perdons quelqu’un de cher et que cette expérience nous touche.
Du reste, nous mourrons bien des fois durant notre vie. Nous mourrons chaque fois que tombe un pouvoir que nous avions. Et que nous nous rendons compte que nous ne sommes pas ce pouvoir. Dès que l’on perd un proche, une possibilité d’action, une image de soi-même…
Reconnaître les présences de la mort
Et il faut les vivre, ces morts multiples, il faut les traverser, et surtout il faut les intégrer. Afin qu’elles fassent partie de nous. Afin que la mort fasse partie de notre vie. C’est ainsi que nous mourrons bien. C’est ainsi que nous aiderons aussi les autres à mourir, si nous y sommes appelés. Parce que notre présence à la mort sera autrement plus pleine que si nous l’avons niée, occultée, reléguée, durant la plus grande partie de notre existence.

La mort fait partie intégrante de la vie. De la vie quotidienne même. On la voit trop peu, mais elle est là. Dans chaque saison, chaque jour qui se termine, chaque pomme qui tombe de l’arbre et qui pourrit, chaque cadavre d’animal sur le bord de la route. Dans chaque déclin. Elle est le terme d’un processus dont nous ne percevons pas toujours la logique mais qui, gageons-le, en a une.
S’exercer à reconnaître les présences de la mort dès maintenant, c’est déjà se préparer à expérimenter celle qui nous fera aller de ce monde vers un autre - du moins, c’est ma croyance -. Et cette acceptation, si elle est de plus en plus sereine, est sans doute l’oeuvre de toute une vie.
Qui plus est, reconnaissons ses qualités: ses bienfaits régénérateurs, son immense action d’accoucheuse, sa danse purificatrice et tonique. Sans la mort, pas de vie. L’une et l’autre sont indissociables. Sont-elles même différentes ? On peut raisonnablement penser que notre perception limitée les fait différentes, alors qu’elles ne sont que le recto et le verso d’une réalité unique, infinie, et inconcevable.
Besoin de calme
Et nous mourrons finalement. Un pot de fleurs nous tombera sur la tête, un cancer nous désorganisera les cellules ou notre coeur s’arrêtera pendant que nous dormons. Mais si notre mort est lente et qu’elle arrive au terme d’une maladie, puissions-nous bénéficier de... calme. Toutes les traditions l’attestent : le mourant souffre de l’agitation, du vacarme, des cris. La personne mourante a besoin de calme.
Est-il besoin de rappeler qu’à ces moments ultimes, plus qu’ailleurs encore, il est nécessaire de ne pas se fier aux apparences : la personne mourante entend ce qui est dit même si elle ne peut pas y répondre et qu’elle semble n’être plus consciente. De même dans certains comas.
Se «désidentifier»…
Il y a un avant, un pendant et un après la mort. Mourir est tout un processus. Mais que se passe-t-il au moment même de la mort ? Moult croyances et interprétations donnent du sens à ce moment.
Il semble que tout le travail consiste à quitter le connu. Et il n’est pas facile de quitter la réalité que nous façonnons, autrement appelée la maya par les hindous, pour l’inconnu.
Dans le bouddhisme tibétain, on affirme que les liens que le mort entretient avec la vie sont au plus fort durant les trois premières semaines après le décès. D’où sans doute la veille que l’on effectuait auparavant dans nos contrées auprès du mort. On priait à son chevet durant trois jours et trois nuits avant de l’enterrer. Car mourir n’est pas tout. Il faut aussi partir et se «désidentifier» de ces pensées, de ce monde mental, de cette idée du corps et de cette terre matérielle que l’on connaissait bien.
3 jours pour se rendre compte que l’on est mort…
Toujours selon les traditions, le défunt ne réalise pas tout de suite qu’il n’a plus de corps humain. Il faut donc se rendre compte que l’on est mort, ce qui prendrait trois à quatre jours. On comprend dès lors que tout ce qui vise à aider le défunt est bienvenu. Celuici doit en effet comprendre comment fonctionne un espace intérieur radicalement neuf qu’il est amené à expérimenter. D’où la compassion envers les défunts errants, le culte des ancêtres, la pratique de la prière. Le défunt est ainsi aidé dans sa marche par étapes vers un nouvel état d’être.
Dans «Réapprivoiser la mort», Patrice Van Eersel insiste sur la nécessité de cette aide à apporter au défunt. Dans les chapitres consacrés à la physique quantique, il est expliqué que la pensée que nous adressons au mort est la seule énergie qui puisse réellement l’aider à bouger. Ne nous empêchons donc pas d’envoyer de «bonnes pensées» d’amour à nos défunts, même plusieurs années après leur mort physique. Vu que le temps est tout relatif, cela ne peut que les aider dans leur marche.
Ceci dit, l’aide, est-il attesté dans de multiples traditions, peut également être apportée par des «anges», des guides, des personnes défuntes auparavant.

Vers la lumière…
Ce qui est commun entre les diverses interprétations, qu’elles soient le fait des traditions, des témoignages des rescapés des NDE, ou de la physique quantique, c’est le thème de la lumière. Ainsi, chez les chamanes, on ne meurt que lorsque l’on a passé les frontières de «la grande lumière». Ce qui est intéressant, c’est que la mort est ici envisagée comme étant une libération. On est libéré des attaches terrestres seulement après avoir atteint cette «grande lumière».
Idem pour le Bardo Thodöl tibétain, si le mourant ne parvient pas à rejoindre la lumière, il est contraint de se réincarner. Dans la physique quantique, la lumière peut être considérée comme l’interface entre une explication spirituelle et scientifique du monde, entre l’univers 3D, qui est notre constitution matérielle, et une autre réalité.
Amie
Ne devenons-nous pas tout petit lorsque l’on meurt ? © styleuneed - Fotolia.com La peau elle-même devient plus fine, le corps semble s’alléger de sa propre matière. On meurt. On s’évide de ce qui nous remplissait. Et la vie de l’esprit prend le relais de celle du corps. Il nous a fallu ce corps pour expérimenter la vie de l’esprit. Il nous faut perdre ce corps et tout ce qu’il représente, pour être vie de l’esprit. C’est ce que la mort, cette amie que nous méconnaissons en tant que telle, permet. Les mots du «Dialogue avec l’Ange» de Gitta Malash, prennent alors tout leur sens : «Ce qui est vu d’en bas : ‘mort’ est en haut ‘vie’».
Marie-Andrée Delhamende
1 Rapportée par E. Kübler-Ross, le témoignage du prêtre Murray L. Trelease.
Références : «Avant de se dire au-revoir», E. Kübler- Ross, Presses du châtelet, «La mort», LV . Thomas, Que sais-je, «Ba-Ba Mort», vol. 1 et 2, G. Chauvin, Editions Pardès et «Réapprivoiser la mort», P. Van Eersel, Le livre de poche.
Paru dans l'Agenda Plus N° 242 de Novembre 2012