Se déplacer en douceur
La mobilité «douce» est un des enjeux fondamentaux de l’écologie. Elle
concerne l’aménagement du territoire et le développement d’énergies
non polluantes, ainsi que le comportement de chaque consommateur et
les représentations que celui-ci a de la mobilité même…

Nous avons du mal à nous imaginer que pendant des millénaires, on se déplaçait à pied et à cheval, et lentement. Que la ville n’avait ni gares, ni arrêts de bus, ni rails, ni pistes cyclables, rings intérieurs et grandes routes, aéroports, aérogares, bouches de métros. Et qu’il n’existait qu’un système unique : les rues. Il n’y eut de failles, dans ce système, qu’à partir de 1825 avec l’apparition des omnibus dans la ville.
Les omnibus étaient de grosses voitures tirées d’abord par des chevaux de trait. Puis l’on posa des rails pour ces omnibus. L’on inventa à la même époque les trains, les tramways, les automobiles, les autobus, les vélocipèdes et les motos. En quarante ans, un profond bouleversement…. mais rien n’était réellement aménagé, excepté les rues, pour y faire face.
Favoriser l’échange
Que se passa-t-il alors ? Un engorgement progressif, un entassement et... une catastrophe pour y remédier, en termes de qualité de vie. Dans la ville, on a séparé, on a cloisonné, on a scindé. Des zones distinctes ont été créées destinées au travail, aux commerces, aux logements.
Ainsi, actuellement, il y a plusieurs méga centres commerciaux ou complexes cinématographiques géants aux abords des villes, d’où l’augmentation du trafic motorisé pour y accéder et la quasi-impossibilité dans ces zones d’encourager les moyens d’une mobilité «douce» comme la marche et le vélo. On ne peut d’ailleurs que déplorer la délivrance des permis d’aménagement du territoire qui permettent ce type de constructions.
Bon nombre de villes sont donc éclatées en zones. Ces zones sont reliées par des routes qui sont devenues de plus en plus larges jusqu’à devenir quelquefois de véritables autoroutes dans la ville. Heureusement, la modification du visage urbain se dessine peu à peu, du moins dans certaines villes. Celles-ci tiennent compte d’une des fonctions importantes de la ville qui est de favoriser l’échange. Les façons de se déplacer, particulièrement par le biais de la marche, du vélo, des transports en commun, en maillant la ville de sentiers, de pistes cyclables, d’abris, de placettes, architecturent une ville autrement et lui rendent sa vitalité.
Le temps de déplacement
A l’origine, les grandes routes qui relient les «zones» de la ville entre elles ont pour but de favoriser un temps de déplacement court. Le temps de déplacement est, ou plutôt «était», considéré comme un temps perdu.
Ce n’est plus le cas. Ou, du moins, c’est en voie de changement. Durant les temps de transport, à la faveur d’un voyage en train, en autobus ou même en métro, nous communiquons. Nous sommes connectés via nos GSM, nos portables, nos tablettes. Le temps du déplacement tend à devenir un temps qui est vécu à part entière alors qu’auparavant il était seulement considéré comme un temps mort.
Car ne nous y trompons pas. Il y a dans le déplacement humain, quel qu’il soit, un enjeu supérieur aux seules nécessités matérielles. Même lorsque l’on va acheter son pain à la boulangerie, on cherche à être dans la communication, l’échange, la communauté humaine….
Mobile autrement, avec le virtuel…
Mais avec les communications virtuelles, une modification sans précédent est à l’oeuvre, aussi immense que l’apparition de l’automobile il y a plus d’un siècle. Car la mobilité physique, le fait de se déplacer donc, n’est plus le seul moyen d’avoir la possibilité de communiquer et d’échanger avec autrui. Et cette révolution génère des représentations nouvelles de la mobilité.
C’est un paradoxe, mais force est de constater que si nous sommes immobiles lorsque nous sommes assis dans un train, nous ne le sommes qu’en apparence. Car dans cette immobilité apparente, nous sommes mobiles, voyageant à l’autre bout du monde par le biais de nos équipements miniaturisés et portables. Nous communiquons avec notre ami au Canada alors que nous faisons la navette dans le train Namur-Bruxelles.
La mobilité devient donc un concept nouveau qui s’agrandit d’un espace virtuel. Et cet espace virtuel, ces potentialités du virtuel, changent notre façon de nous représenter le monde physique avec de nouvelles valeurs qui sont l’autonomie, le partage, l’accessibilité pour tous, entre autres. Ces valeurs se retrouvent dans des moyens de transport «durables», «doux» comme les voitures électriques, les voitures partagées, les transports en commun, le vélo, la marche….
Pour des enfants à pied et à vélo…
On se réjouit de l’apparition, dans toutes les grandes villes d’Europe, de la mise à disposition de vélos en libre-service. Les avantages du vélo sont multiples, est-il utile de le rappeler ? Non polluant, favorisant le sport, la convivialité, le sentiment de liberté, plus rapide que le bus, moins cher que la voiture… le vélo cumule beaucoup d’avantages.
Mais la culture du déplacement à pied et à vélo s’éduque. Et il se fait que l’on n’éduque plus les enfants à marcher ou à rouler à vélo. Il suffit d’observer la sortie d’une école. Les voitures des parents stationnent aux abords, sur le trottoir, au milieu de la chaussée. Les trajets domicile- école se font en voiture particulière au moins deux fois par jour.
Or, se déplacer en bus, à pied ou à vélo pour aller à l’école a de multiples avantages pour l’enfant. Celui-ci a une activité physique quotidienne, fait une expérience d’autonomie et de sociabilité et intègre un comportement «alter mobile», c’est-à-dire qui utilise d’autres moyens de transport que l’automobile.
Pedibus et véloBus
On peut comprendre que la première raison de la conduite «taxi» des parents soit la peur pour la sécurité de leur enfant. Néanmoins, des alternatives existent. Le pédibus et le vélobus en sont. Le pédibus, promu par l’asbl Gamah, ouvert aux enfants dès quatre ans, se présente comme un encadrement sécurisé du trajet. Un groupe d’enfants encadré par des adultes emprunte chaque jour le même itinéraire selon un horaire fixe. Ingénieux et efficace. Même principe pour le VéloBus : caravane d’enfants à partir de 9 ans, adultes formés encadrant les enfants, itinéraire et arrêts fixes.
Réfléchir dans le garage…
«Education» et «prise de conscience» sont les maîtres-mots en ce qui concerne la mobilité douce. Car les conditionnements sont autant comportementaux que psychologiques. Ainsi est-il nécessaire de s’attacher à comprendre quelle est la place de la voiture dans notre culture. Pourquoi, sachant qu’elle porte atteinte à notre environnement et à notre santé, est-il si difficile d’y renoncer ?
Sachons d’emblée reconnaître que la voiture permet l’autonomie et une grande liberté d’allées et venues dans des aires parfois inatteignables en transports en commun. Cette liberté individuelle est chère aux yeux des usagers car elle est totalement en phase avec notre XXI ème siècle.
La psychologue de l’environnement pose la question en termes de territoire. La voiture est un territoire privé. Les transports en commun ne le sont pas. Toute la différence est là.
Autrement dit, un automobiliste, dans sa voiture, se sent «chez lui».
Il contrôle son territoire et n’y admet que les personnes qu’il souhaite y inviter : ses proches, sa famille, ses amis, bref ceux et celles qu’il accepte physiquement de côtoyer. Les transports en commun ne permettent pas ce choix, vu que la proximité corporelle est imposée.

Voiture-identité ?
Par ailleurs, le propriétaire de l’auto traditionnelle individuelle exprime qu’il est le possesseur de ce territoire en le «personnalisant » avec des pendentifs, des petits objets décoratifs, des bandes autocollantes, des autocollants à messages ou des sigles. Les voitures partagées ne permettent pas cette appropriation symbolique1[ibid].
L’automobiliste montre qui il est en fonction du choix de sa voiture, de sa couleur, du soin apportée à son entretien, toutes façons de communiquer une appartenance sociale. Bref, l’automobile porte toute une série de valeurs personnelles. Les discours écologiques ne peuvent pas, même s’ils sont argumentés et convaincants, se substituer à ces valeurs identitaires. Preuve en est le fait que les automobilistes, même à tendance écologique, n’achètent pas massivement une voiture électrique.
Et pourquoi pas électrique ?
Or, la voiture électrique a de nombreux atouts. Elle est très peu polluante, demande un entretien minimum, ni vidange, ni bougies, est facile à conduire, roule en douceur et sans à-coups. Alors, pourquoi ce peu de succès actuel chez les consommateurs ? Question de préjugé, avant tout, et d’image. Elle ne roule pas «vite», 100 km/h maximum, ce qui lui confère une réputation de «voiturette» alors qu’une voiture atteignant les 200 km/h, même s’il est interdit de rouler à cette vitesse, a la réputation d’une «vraie» voiture.
Elle est également chère à l’achat, vu le coût de la batterie. Et le temps de charge est important. Shai Agassi, informaticien, préconise une solution : les clients achètent la voiture dépourvue de batterie, d’où coût réduit, et prennent ensuite un abonnement forfaitaire auprès d’un opérateur de réseau [à créer], une espèce d’Electrabel de la voiture électrique, ce qui suppose évidemment un maillage de points de recharge sur le territoire. Mais cette solution demande de parier sur le changement de comportement des consommateurs et de leur capacité et volonté à effectuer un travail de compréhension du rôle symbolique de la voiture. Ceci, en plus de l’investissement économique.
Il «engendre l’eau»… !
Les facteurs économiques sont, en effet, un obstacle à l’installation de technologies non polluantes. Car les inventeurs et les chercheurs pionniers existent de par le monde. La pétrochimie verte existe, les carburants alternatifs aussi… mais l’économie ne suit pas. Du moins, pas tout de suite…
L’hydrogène se profile comme la nouvelle énergie propre de demain. Les constructeurs automobiles multiplient d’ailleurs les prototypes. Qu’en est-il exactement de cette voiture à hydrogène «propre» ? Un coup de chapeau à Jules Verne en passant, lui qui fait dire au héros de «L’île mystérieuse» : «Je pense qu’un jour l’hydrogène et l’oxygène seront les sources inépuisables qui fourniront chaleur et lumière ». Rappelons rapidement le grand avantage de l’hydrogène. Il est totalement propre. Son utilisation dans des piles à combustion génère à la fois électricité et chaleur sans autre émission que de l’eau pure. Etymologiquement, le mot le dit : l’hydrogène «engendre l’eau». L’hydrogène peut fournir de l’électricité pour tous types d’usages, allant du réseau national en passant par la lampe de poche et la voiture particulière.
Déjà les bus, demain les autos…
Encourageant : de nombreux bus sont déjà en démonstration dans le monde entier, à Stockholm, Londres, Porto, Barcelone, Amsterdam, Reykjavik. Mais on rencontre des problèmes d’infrastructures de ravitaillement, de coût, de complexité pour adapter les technologies de cette nouvelle énergie aux exigences du transport privé, notamment. L’hydrogène peut cependant conquérir progressivement du terrain.
Mercedes, Ford, Nissan, Toyota, GM, Honda, Chrysler ont créé des prototypes et un nombre limité de véhicules destinés à la commercialisation. L’attitude du consommateur vis-à-vis de l’auto électrique n’est guère encourageante et rentre évidemment en ligne de compte dans l’étude de la commercialisation en série de ces autos.
Néanmoins, la mise en place d’une mobilité «douce», écologique, durable, est en train de se produire et adviendra.
Peut-être moins vite qu’on ne le voudrait, mais inéluctablement….
Marie-Andrée Delhamende
1 Cfr. «Circuler», catalogue de l’exposition, Editions Alternative
2 www.gracq.be, www.gamah.be, www.generationtandemscolaire. be & www. provelo.be

Paru dans l'Agenda Plus N° 246 de Avril 2013