Fréquence couleur
La couleur est omniprésente dans notre vie. On en a une idée parfois
superficielle. Qu’est-ce que la couleur ? Comment la perçoit-on ? Où
et comment agit-elle ? Dès que l’on se pose ces simples questions, la
couleur se donne à voir autrement…

Nous voyons, pour la plupart, le monde en couleurs. C’est simple et évident. Evident ? En apparence seulement. Car la perception est, en soi, un phénomène complexe. Plus on approfondit la compréhension d’un sens, la vue par exemple, plus on s’aperçoit que la perception de la réalité se fait prioritairement par le biais de l’ensemble de notre monde intérieur. Nous voyons le monde, y compris les objets les plus quotidiens qui nous entourent, par la lorgnette de notre subjectivité, avec tout ce qu’elle comporte.
Mais quand même, direz-vous, lorsque nous regardons quelque chose, nous le regardons avec nos yeux ! Par exemple, nos jolies tentures rouges, nous les regardons avec nos yeux et nous les voyons rouges. Certes, certes… mais ce n’est pas si simple… car le rouge de l’un n’est pas le rouge de l’autre !
Yeux d’homme, de chat et de souris
Pour mieux comprendre ce phénomène, sachons que la rétine comporte trois types de cellules, appelées cones, comportant des pigments sensibles à des longueurs d’ondes spécifiques du spectre lumineux. La vision de l’homme est trichromique, ce qui permet de voir les combinaisons des 3 couleurs fondamentales, le rouge, le bleu et le jaune, et donc les sept couleurs de l’arc-en-ciel : rouge, orangé, jaune, vert, bleu, indigo, violet. Mais le chat ou la vache ont une vision dichromique et ne perçoivent que le bleu et le jaune. Quant à la souris, elle voit le monde en noir et blanc. À chaque espèce, sa vision colorée du monde.
Etes-vous synesthète ?
Chaque individu perçoit le monde à sa façon. Ainsi, prenons le cas d’une personne synesthète. Le mot «synesthète», qui signifie littéralement «conjonction de sensations» vient du grec «syn», ensemble, et «aisthesis», perception. Un exemple de synesthésie : voir la couleur, mais aussi l’entendre. Ecoutons le témoignage d’Irène Schönenberg, auteur d’un travail sur la synesthésie : «Le A et le 4 sont rouges pétillants, le E est jaune citron et le R bleu noir. En entendant ou en lisant une phrase, je vois les mots colorés déambuler devant moi comme sur un écran». Si Irène voit le A en couleur rouge pétillante, ce ne sera pas le cas d’une autre personne synesthète.
Rimbaud, dont on connaît le fameux poème «Voyelles» associe la couleur noire au A. Synesthète aussi, Baudelaire qui écrit : «les sons et les parfums tournent dans l’air du soir». L’expérience synesthésique est individuelle, ce qui est à noter. Ce type de perception, très riche, existe de tous temps et ne touche qu’une petite partie de la population. Il serait intéressant de le faire connaître, vu que le problème majeur que rencontrent les personnes synesthètes est de se rendre compte que leur perception est différente de la majorité.
Dans le cerveau…?
Mais que voit la majorité des personnes ? Que voit l’oeil, exactement, lorsque nous regardons nos fameuses tentures rouges ? La couleur rouge de nos tentures n’existe pas en soi. Nous créons le rouge par le biais de l’organe «oeil» et de ses spécificités, et par le biais de zones spéciales du cerveau, appelées « cortex visuel » qui mettent en oeuvre des processus de connaissance, d’apprentissage, de mémorisation. La couleur est une notion créée par l’homme ; il n’y a pas de couleur dans la nature sans la vision humaine.
En réalité, la lumière est réfléchie par les choses et elle est ensuite traduite, intégrée, «interprétée» par les sens, par le cerveau et par l’ensemble du psychisme. Ces mécanismes d’interprétation vont permettre de se représenter sensoriellement les formes, les textures, les mouvements, la distance, les reliefs et les couleurs des choses.

A chacun sa gamme
La couleur n’est donc pas due uniquement à ce que l’on voit, mais à ce que l’on sent et à ce que l’on imagine. Ajoutons que chacun de nous a un passé avec la couleur. Chacun de nous tisse une histoire personnelle avec la couleur, ce qui détermine sans doute nos goûts, pourvu que ceux-ci ne soient pas influencés par des modes !
Les observations du pédagogue et peintre Johannes Itten [1888-1967] mondialement connu pour son étude de la couleur, sont passionnantes à cet effet. Itten demanda un jour à ses élèves de peindre sur une feuille des accords harmonieux de couleurs. Le résultat montra que chaque élève avait une conception différente de ces accords. Itten demanda ensuite à chaque élève de mettre la feuille devant son visage. On constata qu’il y avait une analogie entre les teintes du visage et les couleurs choisies par l’élève.
Chaque personne a des affinités particulières avec des accords de couleurs. Chaque personne est en écho avec une palette de couleurs qui lui est tout à fait propre. Autrement dit, les fréquences électromagnétiques de la personne se reflètent dans les harmonies de couleurs qui l’attirent. Comme si ces couleurs étaient la structure interne d’elle-même projetée à l’extérieur.
Quand nous vivons, quand nous mourons…
Tout se passe comme si nous étions dotés d’une carte d’identité énergétique interne originale et unique. Carte d’identité lumineuse qui se manifeste en ondes colorées en nous et à travers nous. Nous diffusons une certaine lumière et des couleurs spécifiques. Nous diffusons nos couleurs. Notre peau a une certaine carnation, nos yeux sont bleus, verts, gris, bruns. Nos cheveux sont blonds, noirs, roux. Nous sommes en vie et colorés.
Quand nous mourons, nous perdons nos couleurs. La lumière de la vie s’éteint. Nous perdons la lumière. Ou du moins, elle s’en va ailleurs. Et la matière sans lumière, le corps sans vie, le corps inanimé, le corps réduit à la matière est tout simplement sans rayonnement chromatique.
Une zone d’invisibilité
La couleur n’est pas inanimée. Il n’est d’ailleurs pas de couleur qui n’ait une qualité de lumière particulière. C’est peut-être là tout l’art de certains peintres de donner à la couleur des qualités de douceur, de moelleux, de pureté, de permanence, qui font écho au mystère de la lumière. L’oeuvre d’art donne à voir la couleur, et plus généralement la réalité, dans une vibration particulière qui fait résonner nos plus fines et hautes vibrations.
De même que le son, la couleur nous introduit à l’invisible. Reprenons l’exemple des tentures. Nos tentures sont perçues par notre vision grâce à leur rayonnement électromagnétique. Sachons cependant que nous ne voyons que la partie visible du rayonnement électromagnétique. Une grosse partie du rayonnement de nos tentures n’est pas perçue par nos sens grossiers. Il existe en effet une zone d’invisibilité des deux côtés du spectre solaire. On ne perçoit ni les infrarouges, ni les ultraviolets. Ils sont invisibles à l’oeil nu, mais existent néanmoins. Il y a donc un «invisible» de nos tentures rouges. De fait, dès que l’on entre dans le monde de la couleur et du son, on touche à l’invisible…

La finesse s’éduque
On touche à l’invisible, oui, mais on reste également dans le visible. Et c’est là la force de la couleur. Elle est un pont entre deux mondes. Notre corps est, paradoxalement, le lieu de ce passage. Et on ne peut que souligner le rôle de la colonne vertébrale, véritable colonne lumineuse et sonore le long de laquelle montent et descendent des vibrations.
C’est dans cette étroite colonne que les sons et les couleurs résonnent et se répondent. Sommes-nous conscients de ces résonnances ? La plupart d’entre nous ne le sont pas. Nous sommes trop denses. Mais la finesse s’éduque. La couleur peut devenir un chemin intuitif de connaissance. Elle nous aide à recevoir et émettre des vibrations subtiles qui, autrement, vu notre état de densité, nous demeureraient inaccessibles.
L’être humain, spectre solaire
Il s’agit non plus de voir extérieurement la couleur, mais de la vivre intérieurement. Plusieurs approches sont évidemment possibles, leur dénominateur commun étant de développer une sensibilité très fine à l’énergie des couleurs. Nous avons besoin de certaines couleurs plutôt que d’autres à certaines périodes de l’année ou de notre vie. Comment l’expliquer ? Il est important de ne pas perdre de vue que l’être humain est comparable à un spectre solaire. Nous sommes composés des vibrations de l’ensemble des couleurs qui s’amalgament et résonnent en nous, notamment selon la loi des énergies complémentaires.
Il se peut, par exemple, que nous ayons subitement envie d’acheter un pullover vert, alors que nous sommes dans une période de grande activité et d’ardeur, que nous ressentons comme étant rouge. Par ailleurs, il se peut aussi que nos magnifiques tentures rouges nous tapent sur le système ! Autant les formes, les couleurs et les sons que les émotions et les affects agissent sur notre métabolisme. On est sans cesse travaillé par ce qui nous traverse. On est tout à tour ressourcé ou vidé. Nourri ou dénutri.
Il y a inévitablement dans nos métabolismes des déséquilibres liés à ce que nous vivons, recevons, émettons. Et il y a, pour pallier ces déséquilibres, la recherche de moyens pour retrouver l’équilibre et une forme de réharmonisation. C’est dans ce cadre que peuvent s’inscrire le travail des couleurs, des sons, des formes, comme, entre autres, la chromothérapie, l’approche de Steiner ou le mandala pour ne citer qu’eux (voir encadré).
L’ «au-delà» des couleurs
Si les couleurs de l’arc-en-ciel peuvent être vécues de l’intérieur, il existe aussi un « au-delà » des couleurs, ne l’oublions pas. Il semble que certaines personnes évoluées spirituellement, puissent faire l’expérience, en état de méditation, voire d’extase, d’un blanc pourpré quasi incolore, volatil, subtil, léger, que l’on ne peut plus qualifier de couleur proprement dite. Ces personnes sont « illuminées » intérieurement durant le temps de cette expérience non-ordinaire.
Si ces personnes sont dans un « au-delà » du spectre solaire, elles ne sont pas encore dans la pure lumière, celle-ci étant inconnaissable et inaccessible à la conscience humaine.
Car ultimement, il s’agit avant tout de lumière.
Or, la lumière reste un mystère. C’est ce qu’exprime admirablement la phrase d’Henri Corbin, si souvent citée : «On ne peut voir la lumière. C’est elle qui fait voir»...
Marie-Andrée Delhamende


Paru dans l'Agenda Plus N° 247 de Mai 2013