Aimer au pluriel
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Aimer au pluriel



L’été, ses voyages, sa légèreté, ses rencontres, le soleil et les maillots… et nos engagements ! Comment rester libre tout en étant engagé ? Comment se positionner face à des rencontres d’âmes «merveilleuses» ? Existe-t-il d’autres modèles entre les écarts que sont l’exclusivité absolue et le libertinage ? Est-il possible d’aimer plusieurs partenaires en même temps ? Voici, loin des clichés habituels, l’exploration de chemins hors des sentiers battus…



Quiconque a déjà eu l’honneur d’observer un pendule de Foucault en action ou un pendule d’une horloge ancienne aura été le témoin que la vie, de par son processus, nous pousse souvent à expérimenter les deux facettes extrêmes d’un même sujet jusqu’à ce que, à l’instar du pendule, nous en trouvions le milieu, notre milieu, notre équilibre propre, qui tout au long de la vie sera à ajuster.
Quiconque vit une vie de couple, entend des témoignages ou exerce dans la relation d’aide aura entendu que les expériences d’infidélités dans les couples ne sont pas des exceptions réservées aux stars des magazines «people» mais sont des faits bien ancrés et réels, souvent cachés.
Diverses statistiques ou sondages indiquent qu’entre 15% et 25% des couples stables vivent des relations «extra», extraconjugales pour les couples mariés, extra hors de l’ordinaire pour les couples qui vivent sans avoir pris d’engagement public.
A écouter les historiens, le phénomène n’est pas rare et certaines époques ont même accentué ce phénomène. Il suffit d’entendre les péripéties à la Cour de Louis XI V pour comprendre que la fidélité n’était pas le souci prioritaire du souverain.
Les évangiles évoquent aussi cette thématique [sujet d’une femme adultère dans l’Évangile selon St Jean 7,53-8,11] alors que de nos jours, ce sont les comptesrendus des tribunaux qui en reprennent le déroulé, et les sondages ou sites en ligne en tous genres qui en font presque leur outil de marketing.
Si tout ceci existe autant chez l’humain depuis des siècles, sans doute est-ce parce que ceci a d’excellentes raisons d’exister… Au fond, qu’est-ce qui se trame de profond et de sacré dans ces amours au pluriel ?

Points de repères dominants

Tout d’abord, la culture dans laquelle nous baignons nous imprime, depuis l’enfance, à 99% des standards «mono partenaire» et «tout est rose, rassure-toi». Expliquons-nous. La plupart des oeuvres cinématographiques, des oeuvres théâtrales, des chansons, de la littérature soit nous plongent dans des histoires d’amour simple et idyllique, soit nous immergent dans les dédales du triangle amoureux, couple + amant[e].
Quand la culture dominante nous immerge dans «tout est rose, rassure-toi», elle tente d’établir que l’humain vit parfaitement l’équanimité en sentiments amoureux durant toute sa vie ou qu’il devrait y parvenir. Qui peut prétendre réellement à une parfaite équanimité sur ce point-là de 15 à 85 ans ?
Quant au synopsis du triangle amoureux, il fait sans doute encore recette car il permet de faire écho aux points de repères anciens qui sous-tendent le schéma : vivre ces relations «extra» dans le secret, le mensonge, le silence, l’interdit et avec comme conséquence les trahisons, les interdits, les non-dits, les rejets, les séparations, les déchirures,… et donc constamment vivre nos blessures d’amour à la vitesse d’un flipper en pleine activité !
Au final, c’est comme dans les jeux de café : après toute cette agitation, la boule du flipper est souvent tombée dans l’oubli, comme souvent un des deux protagonistes du triangle amoureux lui aussi. Et pour les couples ayant vécu le triangle amoureux, il s’ensuit du dégât dans les coeurs, du dégoût dans la vie.

Nos besoins fondamentaux

Ce qui semble évident mais qui s’estompe parfois de notre conscience, c’est que la liberté est un besoin fondamental de chaque être humain, aussi important que le besoin d’être en sécurité ou d’exister. La liberté est intérieure et n’est pas non-engagement. La vie n’est pas possible sans engagements, ni contraintes. Je peux me sentir libre tout en acceptant la contrainte d’assumer ma condition humaine et simplement déjà de voir assouvir mon besoin d’hygiène, de nourriture, etc...
A contrario, la perte de liberté ne provient- elle pas toujours d’interactions que nous avons installées et qui réduit notre marge de manoeuvre ?
Qu’avons-nous installé comme prémices ou comme termes explicites ou tacites au contrat de nos relations aimantes ? Avons-nous établi un tel chapitre dans le contrat de mariage ou dans le contrat de cohabitation ? Avons-nous inscrit l’exclusivité et les menaces de rupture abrupte au moindre faux-pas ou avons-nous inscrit le respect de notre propre liberté et de nos besoins, et le respect de la liberté de l’autre et de ses besoins ?



L’équation de la fidélité ?

La fidélité quant à elle nous offre aussi son caractère paradoxal. Il s’agit d’être fidèle à soi. Et à l’autre. Et vivre l’un sans l’autre induit souvent des conflits de loyauté : je veux rester fidèle à l’autre, mais je veux aussi rester fidèle à moi. Et si l’objet de ces deux désirs de fidélité divergent… l’incohérence ronge alors notre intérieur tandis que la culpabilité, elle, s’installe en nous en paralysant le coeur…
Comment résoudre cette équation apparemment paradoxale afin que nos histoires d’amour et d’engagements trouvent les meilleures issues ?

Les relations comme creuset d’évolution

Rappelez-vous vos premières amours… Pouvez-vous observer comme la plupart des rencontres amoureuses nous touchent profondément et nous ont quelques fois bouleversées ? Car la relation amoureuse a ceci de singulier qu’elle touche vite à l’intimité, au sacré et fait fondre les barrières, le jeu social, nous invitant à l’authenticité, nous mettant à nu, au propre comme au figuré.
Chaque relation d’amour est un processus alchimique où la relation est le creuset. Elle nous invite à raffiner notre être et notre capacité à aimer plus inconditionnellement. Jiddu Krishnamurti nous a enseigné que «les relations sont sûrement le miroir dans lequel on se découvre soi-même». C’est pour cela que chaque histoire vient souvent bouleverser certaines rigidités, certaines croyances et mettre en lumière des aspects inconscients.
Ces aspects, ce sont nos scories que la relation cherche à purifier. Ces scories ce sont nos blessures d’âmes, d’enfance, nos schémas parentaux limitants ou transgénérationnels, etc... Finalement, chaque histoire d’amour nous apprend un peu plus de nous-mêmes, de l’autre, et de la façon d’aimer car elle est notre miroir conscient et inconscient. En cela, elle est à chaque fois un tremplin d’évolution si elle est vécue en conscience.

Les millésimes ne sont pas annuels…

Mais dans les oeuvres culturelles, qu’observe- t-on ? La plupart des relations «extra » conduisent à la déchirure, à la séparation, … En est-il réellement comme cela dans la vie ? Pourquoi les couples vivant des expériences «extra» ne se séparent- ils pas tous illico ?
Combien de fortes histoires d’amour auront vécu la plupart des humains sur une vie ? S’il est acquis que l’on ne fabrique pas un champagne millésimé chaque année, il en est de même pour les histoires d’amour. Toutes ne nous touchent pas au même degré et ce n’est pas pour cette raison qu’il s’agit de les classer ou de les comparer.
Certaines vont nous interpeller profondément sur notre liberté intérieure, d’autres, sur notre rapport au corps, d’autres encore sur la délicatesse et la complicité alors que certaines vont nous interpeller sur le sens de la famille ou toute autre considération. Dans certaines relations, la dominante sera le partage de tendresse, dans d’autres, ce sera la complicité ou encore la sérénité et le plaisir de partager le quotidien. Parfois, les corps s’entendront à merveille et parfois moins.
Souvent, sur une vie, il y aura une, deux, voire trois ou quatre grandes histoires d’amour. Ces histoires qui nous marquent plus profondément seront souvent des histoires d’âmes soeurs. Elles sont ici qualifiées de millésimes «amoureux».
Car, primo, nous avons pour la plupart plusieurs âmes soeurs incarnées sur cette planète, mais certaines sont proches de nous et d’autres à mille lieux, dans d’autres pays. Et parfois en voyage, vous en croisez l’une ou l’autre et vous avez un coup de foudre imprévu ! Ce n’est pas pour cela que vous allez claquer tous vos engagements d’avant mais oserez-vous accueillir l’appel du coeur des âmes à se rapprocher et à déguster le bonheur dans l’ici et maintenant des retrouvailles ? Sans peur des conséquences ? Car les âmes peuvent développer une forte attraction et nous rappeler à ce moment-là que nos contrats tacites de personnalité les enferment…
Secundo, ces rencontres d’âmes soeurs sont loin d’être toujours de longs fleuves tranquilles. Il y a des millésimes qui tournent au vinaigre ou en «gueule de bois»… car qui dit relation profonde et sentiments puissants annoncent aussi présence d’orages violents, de tempêtes et parfois de dérives des continents… Vous aurez compris, les séparations entre âmes soeurs laissent rarement les partenaires indifférents. Cela laisse des traces mais c’est un tremplin d’évolution comme nulle autre relation…
Et un millésime est un cadeau de la vie quand plusieurs conditions importantes se rassemblent dans une excellente conjoncture. Il n’est reste pas moins que chaque gorgée de champagne reste un savoureux plaisir et quand des âmes soeurs vivent leur relation en conscience, c’est pétillant, savoureux et procure une douce ivresse d’amour et de joie des êtres…



Et si on osait un changement de paradigme ?

Entre la dominante judéo-chrétienne sur l’exclusivité et les extrêmes des lieux obscurs autour du libertinage, des relations multiples sans attachements, avec peu d’amour, allons explorer s’il y a d’autres voies.
Pourrions-nous imaginer lorsque cela se présente et quand la vie le propose, d’oser vivre une expérience avec une autre personne sans devoir briser la relation privilégiée ? Sans devoir expérimenter l’insécurité des déchirures ? Sans devoir rejeter un être car il a aimé un autre ?

D’autres vont aussi expérimenter une relation sentimentale honnête, franche et assumée avec plusieurs partenaires simultanément de la même manière que l’on peut entretenir plusieurs relations amicales. Cette façon de vivre, avec d’autres points de repères, est nommée dans la littérature le «polyamour».

Ce choix implique de chercher à être en accord avec soi-même sans tabous et de remettre en question le dogme de la monogamie traditionnelle.

Le terme «polyamour» a été importé des pays anglophones où la prise de conscience est plus vive. Les francophones parlent plus volontiers d’amour libre ou non-exclusivité, termes qui représentent imparfaitement la philosophie polyamoureuse. Celle-ci se distingue du couple échangiste, libertin ou infidèle et ajoute des notions de responsabilité et de croissance personnelle.
Ainsi, le polyamour n’implique pas nécessairement une dimension sexuelle ; la franchise sur l’existence d’autres partenaires est de règle.

Selon le philosophe Vincent Cespedes, les polyamoureux essayent de penser en termes d’inclusion : un partenaire ne chasse pas l’autre mais il vient s’ajouter à l’autre. L’auteur forge ainsi la notion d’«inclusivisme » amoureux et oppose cette conception à l’«exclusivisme», l’obligation de ne s’aimer qu’à deux. Aimer au pluriel cesse ainsi d’être exclusif ou fusionnel pour laisser la place à la diversité.



Aimer au pluriel, un modèle unique ?

Comme il n’y a pas de «modèle standard » pour les relations polyamoureuses, les partenaires peuvent avoir des conceptions différentes de la façon dont la relation devrait fonctionner. Si elles ne sont pas discutées, des divergences peuvent grandement nuire à la relation. Pour cette raison, la plupart des polyamoureux ont appris que la communication bienveillante autour des balises de ces relations est essentielle.

Entre passion et sérénité, où en est votre souhait de couple ?

Une relation de couple passionnelle induit la volonté de posséder l’autre et d’installer ainsi l’exclusivité. Dès lors, ce mode de relation laissera rarement la place à l’amour au pluriel.

A contrario, aimer au pluriel exige un grand travail sur soi, une grande clarté, se nourrit d’une profonde liberté intérieure, s’ancre dans une puissante sécurité affective et se déploie dans une justesse de communication. C’est, dans ce climat de sécurité relationnelle et de respect mutuel, que peut exister ou coexister ces liens d’amour.

Aimer est finalement comme un voyage. Il arrive à d’aucuns de voyager à deux, puis seul, puis à deux ou à trois. Mais pour être bien à deux ou à quatre, il est surtout essentiel d’être bien au centre de soi-même, dans l’Être. Alors seulement, «aimer au pluriel» ne devient-il pas une voie d’expérience progressive vers l’amour inconditionnel ?

Raphaël Dugailliez
Psychothérapeute

Références : «Je t’aime. Une autre politique de l’amour» de Vincent Cespedes chez Flammarion, «Vertus du polyamour, la magie des amours multiples » d’Yves-Alexandre Thalmann aux Éditions Jouvence, «Guide des amours plurielles pour une écologie amoureuse» de Françoise Simpère chez Pocket, «De l’autre côté du destin» de Danielle Meunier aux Editions ADA (pour les âmes soeurs) & http://polyamour. info/-cM-/Entretenir-une-relation-polyamoureuse- avec-une-personne-monogame/



Paru dans l'Agenda Plus N° 249 de Juillet 2013
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